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The Father’s Factory (Belarus)

La fabrique des Pères (au Belarus) :

Première loi de Newton : “tout corps persévère dans l’état de repos ou de mouvement uniforme en ligne droite dans lequel il se trouve, à moins que quelque force n’agisse sur lui, et ne le contraigne à changer d’état.”

A mon retour en France, je reçois un e-mail du Belarus manifestement traduit avec l’aide de Google. J’aime ce langage involontairement imagé, comme un poème surréaliste :

« Bonjour, Fredrik. Tout est bien… je à la vapeur vais. La famille trop bien ! Je vois rarement eux… Vous bien sûr bon camarade –  ? ? ? ? Vous avez visité ! Quand vous arrivez dans Belarus appel donne. Je serai heureux à votre cloche. À nous neige le premier. T à côté de – 1 ».

J’aime surtout le : “je serai heureux à votre cloche”, qui veut probablement dire : “je serais content si tu me téléphonais.” C’est un chic type, cet Artiom, un sportif professionnel qui m’a proposé de me montrer comment faire du ski nautique si je revenais au Belarus (comme j’en ai l’intention). Un grand nombre des Biélorusses avec qui je me suis entretenu sont des gens attachants, respectueux et accueillants.

Ci-dessous la transcription de mon Journal du Belarus (2010 – carnet 11 x 17, Clairefontaine, 96 pages, orange sombre) :

Ça commence par mon laborieux, mais affectueux, « poème » pour Vladimir (alias Valodia), personnage haut en couleur rencontré dans la petite ville d’Ouchatchi et avec qui j’ai bu quelques verres de vodka, par moins vingt-sept en dessous de zéro, peu avant Noël :

L’Hiver même mon ami
Ton sourire ne ternit
Sur les plaines d’Ouchatchi.

Nous arrivâmes matin
Tout poudrés de flocons
Tu nous tendis la main
Sous l’arche de ton nom.

Valodia ! Homme solide
Que n’ébranle nulle vodka
Aucune neige n’effacera
Le sang des tiens tombés.

Bon… c’est vrai qu’il manque une rime… Les suggestions sont les bien venues.

Dans un bureau de vote de la ville de X (7237 habitants) :

10 décembre 2010. Le Président de la commission est une enseignante bien charpentée qui dirige d’une poigne de fer le système éducatif local. La société biélorusse est une école où sont distribués les bons points et les blâmes, à tous les niveaux : établissements scolaires, entreprises, administrations.

“Oh oui, affirme-t-elle, joviale – son sourire étirant la couche de rouge à lèvres étalée sur ses lèvres – la majorité des gens viendront voter vers midi, vous verrez !… Y aura de quoi manger et aussi du café bien chaud ! On a également préparé des certificats pour féliciter nos jeunots, ce qui viendront choisir leur Président pour la première fois. Faut les encourager, pour sûr, car c’est la…”

Elle s‘interrompt soudain, juste après avoir jeté un coup d’œil par-dessus mon épaule, et file comme une flèche vers le hall pour en chasser une femme, la tête couverte d‘un fichu, qui était en train d’épingler une affiche sur un mur, puis elle revient vers moi, le visage rouge, furibonde.

“Je souffre beaucoup de cette inflexibilité dans l’exercice de mes fonctions, mais excusez : le devoir avant tout ! Pas d‘affiche dans un rayon de deux cent mètres des bureaux de votes. C‘est pas moi qui le dit, comprenez… C‘est la loi.”

Cette petite scène bien ficelée a probablement été répétée à l‘avance…

Peu après, un adjoint au maire au visage rougeoyant m’annonce fièrement qu’une nouvelle patinoire – olympique – sera bientôt construite. Or, les patinoires, c’est la passion du Père-Président, Alexandre Grigoryevich Lukashenko, alias Bat’ka, lui-même bon joueur de hockey. A tout prendre, mieux vaut se passionner pour les patinoires que pour les serrures, comme feu notre Louis, quatorzième du nom… L’adjoint au maire ajoute qu’un député européen est récemment venu en visite et qu’il n’a pas tari d’éloges sur les choix politiques du pays. L’indice de développement humain serait un des meilleurs au monde…

J’explique que j’ai appris le russe en regardant de vieilles comédies musicales soviétiques sous-titrées. Entendant cela, l’adjoint au maire se met à écarquiller les yeux comme s’il venait d’apercevoir un extra-terrestre jouant de la cornemuse et, pris d’un accès de camaraderie, il se jette sur moi, me fait l’accolade et se met à raconter une anecdote. Il a manifestement bu un peu de vodka, ce qui se comprend car il gèle à pierre fendre dans la rue :

« Vois-tu, une nuit, notre Bat’ka – c’est le surnom qu’on donne à notre Président, Alexandre Grigoryevich Lukashenko, et ça veut dire Père dans notre langue – eh bien, le v’la ti pas qui s’réveille car il a soudain très faim, comprends-tu… Allez ! Dis-moi à qui ça n’arrive pas de s’lever en pleine nuit pour casser la croûte ? … Pas vrai, mon cher… hum… Fiodor ?… Bon, donc v’la donc son estomac qui s’met à gargouiller… Brrrr, pas agréable, si tu veux mon avis… Et donc, not’ Bat’ka, il va jusqu’à la cuisine… C’est dans sa datcha, comprends-tu ?… Tout le monde dort, bien entendu… Donc, une fois arrivé dans la cuisine, il ouvre le frigo, d’un geste un peu brusque, not’ Président… Faut dire qu’il est pas bien réveillé, t’imagines !… À c’theure de la nuit, mal dormi et tout… Les soucis de l’État sur les épaules… Et, en plus, une de ces faims de loup ! On connaît ça, nous autres !… Et donc, il ouvre la porte du frigo d’un geste brusque, comme j’ai dit, et la viande en gelée – une spécialité de chez nous qu’on appelle rolodietz – v’la qu’elle s’met à trembler, dans une soucoupe, en plein milieu du frigo, vu qu’il a ouvert la porte brusquement, comme j’ai dit. Alors, not’ Président, ça lui rappelle kek’chose… Humm… Devine quoi ?… Hein ?… Non ?… Eh ben, ses conseillers que ça lui rappelle !!… Et oui… qui d’autre tu voudrais que ça lui rappelle, la viande en gelée qu’a la tremblote ?… Hein ? Ses conseillers, ses courtisans, quoi, si tu préfères !… Comme quand ça lui arrive de s’mettre en rogne devant eux. Eh quoi ?! Faut bien !… Comment tu veux diriger un pays sans te mettre en rogne de temps en temps… hein ? Dis-voir un peu, mon cher… Fiodor ?… Bon, ben, voyant ça, notre Bat’ka, il sourit, magnanime, et il lui dit – à la viande en gelée – il lui dit, devine quoi ?… Hein ?… Arrête de trembler, qui lui dit, j’viens juste pour le ketchup! »

Et l’adjoint au maire de partir d’un éclat de rire pantagruélique, en se tenant la panse d’une main et me serrant le bras de l’autre, à m’en broyer les os, comme s’il allait s’écrouler par terre sans mon secours fraternel. J’avoue que je l’accompagne volontiers dans son hilarité tant cette anecdote illustre à la perfection la réputation du chef de l’exécutif.

La neige pour l‘éternité :

Minsk, la capitale, est une ville très propre, aux rues quadrillées de façon rectiligne. Rasée de fonds en combles par les troupes nazies en 1941, elle a été entièrement reconstruite après la guerre et n‘a pas volé son titre de “Ville héroïque” qui lui a été décerné par l‘Union soviétique.

On roule sur la neige, sans un bruit, sur la grande route du Nord, au petit matin, en direction de Polotsk, l‘ancienne cité du prince-sorcier Yousiaslav. A travers les vitres givrées, je regarde le brun-ocre des fougères, brûlées par le gel, qui ressemblent à du tabac. Dans les bois alentour, les arbres dénudés projettent leur théâtre d‘ombres. Comme dans un rêve éveillé, les isbas en tronçons font penser à des maisons de pain d‘épice, avec leurs fenêtres colorées de rouge, de jaune ou de bleu, et je me demande combien d‘Hansel et de Grétel des temps modernes y ont survécu. A perte de vue, la neige couvre les champs d‘une couette poudreuse, comme si une cargaison de balles de coton était tombée de gros camions pendant la nuit. Tout est lumineux, propre et frais.

Sous son toit alourdi par les flocons, une maison repose en fumant, entourée d’interminables palissades de planches placées de guingois. Les fenêtres auréolées d‘un badigeon bleu ajoutent une note froide à ce qui est déjà un temps gelé pour l‘éternité, dans l‘air cristallin où les sons portent à l’infini. Le moindre mouvement se repérant à des kilomètres, il est difficile de trouver un refuge. Partie de chasse facile pour les commandos venus, à l‘hiver 1941, exterminer un quart de la population. Une des méthodes des Nazis était de pousser à coups de crosses l’entière population d‘un village dans une grange et d’y mettre le feu. Plus économique qu‘une balle dans la nuque et l‘argent, après tout, c‘est le nerf de la guerre.

Le thé noir fume dans les mugs de carton des stations-services, ouvertes toute la nuit, des rondelles de citron flottant à la surface. On fait crisser nos semelles sur les lames de glace de la chaussée, qui se fendent en libérant des bulles d‘air avec un craquement doux, comme de légères biscottes transparentes et feuilletées.

Les femmes sont chaussées de hauts talons et fument de fines cigarettes tenues par des doigts de pianiste. Les cols de fourrure encadrent leurs visages rayonnant de fraîcheur dans l‘air épuré du petit matin. La lumière réfléchie par le sol enneigé fait ressortir les rouges à lèvres parfaitement harmonisés aux vernis, comme partout au Belarus.

La part des rêves :

Fourbu de fatigue, je somnole à l’arrière de la voiture. Les souvenirs d’une visite à l’ambassade du Belarus remontent à la surface. La raideur protocolaire du grand escalier de l’hôtel particulier du boulevard Suchet. Son Excellence assise dans son grand bureau. Forte carrure et embonpoint de rigueur. Un regard incisif le faisant ressembler à Jaba le Hut. Un anneau serti d’un diamant. En tant que général quatre étoiles, il a commandé une division de chars : « tout comme votre de Gaulle… »

Il tient à faire quelques rappels historiques.

« Vous verrez, on a fait de gros efforts pour la paix en Europe. De très gros efforts. Plus qu’aucun autre pays, on a versé notre sang pendant la guerre, qui a rasé nos villes. Vous verrez ça, nos cicatrices… Des villages entiers brûlés par les Sonderkommandos. Plus de deux millions de victimes. Et puis, après la guerre, on s’est volontairement débarrassé de nos armes nucléaires et on a donné nos missiles et aussi la plupart de nos chars à la Russie. En plus de ça, aujourd’hui, nous contrôlons, pour le bénéfice de toute l’Europe, plus de 1300 kilomètres de frontières, contribuant à réduire le narcotrafic et les mouvements des fondamentalistes. Mais est-ce qu’on en parle dans les médias occidentaux ? Je vous pose la question… »

C‘est vrai qu‘on n‘entend guère parler du Belarus, sauf au moment des élections : juste quelques lignes sur les fraudes et une ou deux anecdotes sur le Président en exercice, qui affectionne le hockey sur glace et n‘a pas la langue dans sa poche : Alexandre Lukachenka. Des reportages mal informés présentent le président comme un psychopathe à moitié idiot dont se détourne même le Kremlin. Un portrait très réducteur. Heureusement qu’il y a le livre d’Andrew Wilson (1).

« Nous sommes un peuple de travailleurs qui nous sommes construits nous-mêmes, sans ressources naturelles ni accès à la mer, continue l’ambassadeur. Il faut comprendre cela. » Puis son Excellence en vient aux élections qui se préparent : « Bon… il faut reconnaître qu’il y a très peu de partis politiques chez nous. Ils sont tout petits, en fait – il fait un geste du pouce et de l’index, comme s’il tenait un morceau de sucre. Et que propose l’opposition ? Hein ?… De tout changer ! Mais je pose la question : est-ce qu’on devrait tout jeter à la poubelle ? Est-ce que tout ce qui a été fait dans notre pays est mauvais ? Et pour le remplacer par quoi, peut-on savoir ? Posez-leur ces questions, à l’opposition, et vous verrez… Ils savent pas eux-mêmes de quoi ils parlent… Vous verrez… On a fait de grands efforts pour offrir des élections qui respectent les règles internationales. »

Le Président en exercice ne manque aucune occasion d’ironiser sur les éphémères leaders de l’opposition, qu’il qualifie volontiers du titre de Pan, l’équivalent de Sir en polonais, indiquant par-là que ce sont des agents à la botte de l’étranger.

Avant de me raccompagner jusqu’à la porte d’entrée, le jeune et fringuant Premier secrétaire de l’ambassade m’offre une carte de réduction pour le casino de Minsk après en avoir noté le numéro dans son carnet, puis affirme, en me serrant la main : « Vous allez apprécier la vie nocturne », tandis que sa jeune secrétaire, une éblouissante rousse qui ressemble à l’actrice Ilia Krichtoul, redresse un énorme bouquet de pivoines dans une vasque, en faisant craquer le cuir de ses talons aiguilles.

La datcha maudite :

Je me réveille en sursaut sur la banquette arrière, comme si la jolie secrétaire venait de me broyer la main avec la pointe de son talon. Pas un bruit, sauf le ronronnement de la voiture dans la nuit… Le paysage enneigé continue de défiler derrière les vitres glacées. La forêt bleuissante est partout. Le Belarus est un pays qui est resté très boisé. Les forêts couvrent encore un tiers du territoire. Je réalise tout d’un coup que j’ai oublié de parler de la « datcha maudite » à l’ambassadeur.

Elle est située dans ce qui reste de la forêt primaire qui, jadis, recouvrait toute cette partie du continent européen. Le mot « blanc » (biela) reviendra souvent dans ce récit. Il est dans le nom-même du pays, Belarus, c’est-à-dire la « Russie Blanche » mais aussi dans celui de sa plus grande forêt, que le pays partage avec la Pologne : la forêt de la Tour Blanche – Biélovejskaya Pucha. La frontière coure au centre et les promeneurs des deux pays peuvent la traverser aux postes de contrôle qui jalonnent son tracé. Ce nom de Biélovejskaya Pucha vient du polonais – Bialowieeza – qui désigne un manoir de chasse de couleur blanche, construit par un roi du quatorzième siècle qui s’y était réfugié pour échapper à la peste noire.

Or, c’est pendant l’hiver de 1991 que trois autres leaders s’y sont, à leur tour, réfugiés, mais cette fois pour échapper à un fléau encore plus redoutable : la guerre civile et son cortège de massacres. En effet, cet hiver-là, les républiques qui composaient l’Union soviétique moribonde étaient menacées par un chaos du même type que celui qui venait d’éclater en Yougoslavie. C’est du moins ce que beaucoup craignaient à l’époque, peut-être à tort. C’est donc dans cette datcha construite dans le style du réalisme soviétique et destinée aux parties de chasse des apparatchiks que le certificat de décès de l’Union soviétique a été signé, le 8 décembre 1991.

Il est vrai que la dissolution de l’URSS avait déjà pris forme, dans les faits, puisque la plupart des anciennes républiques soviétiques, venaient de déclarer leur indépendance. Cependant, il restait à l’annoncer officiellement, pour repartir sur de bonnes bases, par la création concomitante de la CEI – la Communauté des États indépendants – formée, justement, par les trois membres fondateurs que sont la Russie, l’Ukraine et le Belarus.

Il n’en reste pas moins que le Russe Boris Eltsine a probablement ressenti un pincement au cœur en apposant son paraphe sur le document, appelé Accord de Belavezha, même s’il était le leader victorieux de la résistance au coup d’État tenté, in extremis, par des conservateurs communistes, quatre mois plus tôt, à Moscou… Mais Anouchka avait déjà acheté son huile de tournesol…

On raconte que le leader russe n’avait pas résisté à la tentation de faire passer le calice en buvant de la vodka et qu’il avait failli se rompre le cou en tombant dans l’escalier de la datcha. Quant au manuscrit original de cet Accord de Belavezha, il aurait récemment disparu des archives… Depuis, cette datcha de la forêt de la Tour Blanche est considérée comme maudite par les nombreux nostalgiques de l’empire.

Ironie de l’histoire, le mot datcha a une racine – dat – qui signifie « donner », car les terres sur lesquelles avaient été édifiées ces maisons typiques des paysans russes leur avaient été « données » par le tsar, avant la révolution bolchevique. Mais la seule chose que bon nombre des anciens citoyens de l’empire soviétique se souviennent avoir reçue, ce jour-là, c’est un coup de poignard dans le dos.

La datcha maudite a une forme rectangulaire et une entrée monumentale, supportée par de hauts piliers à angles droits. C’est une de ces résidences officielles qui ont inspiré Enki Bilal et on raconte que des animaux étaient attachés aux arbres qui l’entouraient, à l’époque de Brejnev, pour que le vieux Premier Secrétaire aux sourcils broussailleux puisse avoir une chance d’en tuer au moins un, lui qui tremblait à en rendre jaloux un épileptique.

Aujourd’hui, des bisons vivent dans la forêt de la Tour Blanche, les plus nombreux d’Europe. Cet animal a été ré-introduit dans la nature en 1929 et on ignore combien ont été dévorés par les soldats allemands affamés ou les malheureux qui les fuyaient en se cachant dans les bois. Dans cette forêt, vivent aussi des petits groupes de chevaux semi-sauvages, appelés koniks – du polonais kon qui veut dire « cheval » – ainsi que des chouettes pygmées, la plus petite d’Europe, de couleur rouge foncé et brun.

Le sorcier de Polotsk :

Selon une légende, le maître de Polotsk au 11ème siècle, le prince Yousiaslav – surnommé le sorcier – avait la possibilité de s’envoler dans les airs, nuit et jour. C’est aujourd’hui une marque de vodka : Yousiaslava. Autre façon de s’envoler.

Dans le centre de ville, il fait moins vingt-cinq, mais le soleil brille et la neige a cessé de tomber. Le Père-Noël rouge du camion Coca Cola est comme chez lui dans le paysage enneigé, mais la saison est plus propice au brûlant breuvage ambré des samovars qu‘au liquide détergent des cannettes en aluminium.

Les flocons poudrent les fourrures et mouchettent les longs cheveux des belles femmes qui parcourent la ville sur la patinoire des trottoirs glacés, leurs talons aiguille perçant la couche de glace comme des crampons d‘alpinistes. Pour rien au monde elles n’accepteraient de réduire leur allure et semblent aussi à l’aise que si elles descendaient la perspective Nevsky un soir de printemps.

Dans un parc, un skieur de fond glisse comme sur des rails et disparaît de l‘autre côté du petit bois sombre. Vêtu d‘une combinaison aux couleurs nationales, rouge et vert, il tourne autour du bois à la façon d‘un spoutnik en orbite, ses bâtons de carbone dressés derrière lui telles deux longues antennes dans la stratosphère.

Une usine de produits laitiers :

Comme tous les chefs d’usine, le directeur est actuellement en déplacement à Minsk pour assister au discours du Père-Président. Une femme chargée des relations publiques me fait visiter l’usine. Dans une vitrine de la salle de réunion, un buste de Karl Marx jouxte trois icônes et un livre consacré à la Grande Guerre Patriotique.

Le salaire mensuel d’un employé est un million de roubles biélorusses (environ 60 euros). Un bureau de vote est installé dans un local et plus de mille employés sont inscrits sur les listes. On m’assure que personne n’est forcé à voter : « vous comprenez, c’est la mentalité slave de ne suivre aucun ordre. »

Ce seront les premières élections qui auront lieu en plein hiver (peut-être pour décourager les manifestations.) « Mais pas de soucis, affirme la responsable aux cheveux permanentés, les gens viendront, malgré le froid. On va organiser des concerts. Il y aura de la bonne nourriture. C’est une fête pour nous, vous savez. Et ces partis d’opposition… j’vous demande un peu ! On n’y comprend rien à ce qu’ils veulent, au juste… Vous trouvez pas ?… Toujours prêts à tout critiquer, ça oui ! Et pour proposer quoi à la place ?… Non, m’sieur, on n’a pas confiance en ces gens-là, nous autres… Vraiment pas confiance du tout. »

Les Partisans :

Le majestueux monument aux héros de la guerre, à Ouchatchi, s‘élève sur une colline couverte de neige, et les noms des morts sont inscrits en relief sur des plaques de métal que n‘attaque pas le gel. Après nous être recueillis, nous roulons sans bruit sur la neige, jaunie par les phares, entre deux rangées d‘arbres fantomatiques, en suivant les petits yeux rouge-vampire des feux de la Skoda qui nous guide jusqu‘au musée de la Grande guerre patriotique. Pour cette visite improvisée, on se fait ouvrir les portes par un employé municipal qu’on a probablement tiré du lit. La température est encore descendue et les haleines se cristallisent.

Les vastes salles du musée retracent l’enfer des années 1941 à 1944 et bientôt tout le monde a les larmes aux yeux. Épouvantables photographies, documentaires tournés par les nazis pour enfoncer le clou sur leurs exactions parfaitement assumées. Allez parler d’entente européenne après ça… Et pourquoi toute cette tuerie ? Pour la simple raison que le Führer se sentait à l’étroit en Allemagne, en dépit de l’annexion de la Pologne et de l’élimination de la partie « inutile » de sa population, ce qui lui faisait quand même un peu de place. Mais non, l’Allemagne avait un besoin urgent de coudées franches et d’espace vital pour ses petits Aryens. On lance donc l’opération Barberousse, en juin. Nouvelle guerre éclair (Blitzkrieg) avec pas moins de quatre millions de soldats allemands, rejoints par des Italiens, notamment. En effet, le Duce, un autre excité, rongeait son frein depuis qu’il s’était montré incapable d’envahir le sud de la France, quelques mois plus tôt, malgré l’aide des nazis et la débâcle des armées et de la population françaises, combinées à l’incompétence notoire du haut-commandement parisien. Bref, il n’a plus qu’une hâte, le Duce : rattraper le coup en massacrant du Slave, après avoir joyeusement gazé les Ethiopiens. Car, que diable ! l’Italie a aussi droit à des colonies et à un espace vital pour ses chemises brunes et sa glorieuse jeunesse.

Bref, toute cette joyeuse troupe bardée de fer parvient rapidement – motricité oblige – à la rivière Béresina, de triste mémoire, et s’ensuivent trois années d’occupation de la Biélorussie. Le calvaire durera jusqu’à la libération du pays par l’armée rouge, en 1944. Un quart de la population sera éliminée. Plus de deux millions de personnes, dont un demi-million de Juifs. Il faut dire que le Slave était fort mal côté à la bourse des valeurs de Berlin et qu’il était placé très bas sur l’échelle humaine, bien plus bas que le Gaulois, par exemple, et – pour tout dire – considéré comme un être inférieur : “Untermensch”.

Leur espace vital, ils l’ont eu, mais ils ne l’ont pas gardé longtemps. Staline qui, du reste, peu de temps auparavant, adressait des petits messages de bonne année au Führer, avait fini par couper les ponts, en affirmant : “ils veulent une guerre d’extermination ? On va leur donner une guerre d’extermination. » Et il a tenu parole. Il faut dire que les deux compères s’entendaient jusque-là comme larrons en foire et avaient signé le pacte germano-soviétique pour se partager la Pologne et tout ce qui pouvait leur tomber sous les bottes. Mais en entrant au Belarus pour envahir la Russie, l’hitlérisme, sans le savoir, avait signé sa ruine, tout comme le bonapartisme, un siècle plus tôt, même si on ne peut comparer la campagne de Napoléon – personnage respecté, et même estimé, en Russie – avec la froideur exterminatrice des hordes nazies.

Une occupation comme celle de la France s’est donc mise en place, avec les collabos d’un côté et les partisans de l’autre. Mais la comparaison s’arrête là. Rien qui ressemble au régime de Vichy et ce n’était pas à Minsk, qu’ils venaient de raser de la carte, que les officiers allemands pouvaient boire du champagne en lorgnant les danseuses de French Cancan et il n’y avait pas, non plus, de brave Maréchal pour faire « don de sa personne », tout en dégustant son plateau de fromages à l’Hôtel du Parc.

Même si elle n’a pas été aussi institutionnalisée qu’en France, la collaboration d’une partie de la population du Belarus avec l’occupant allemand se comprend aisément, si l’on se souvient qu’une vingtaine d’années plus tôt, après la révolution bolchevique, les forces spéciales soviétiques (NKVD) avaient massacré beaucoup de Biélorusses, surtout les élites qui leur faisaient de l’ombre, ce qui fait qu’un ressentiment anti-soviétique existait avant l’arrivée des Allemands. Il fut habillement exploité par les Nazis pour trouver et former des collaborateurs – tout en les méprisant – de la même façon que la propagande allemande avait exploité l’anglophobie d’une partie de la population française pour détruire l’alliance entre Paris et Londres au début de la guerre.

De leur côté, ceux qui ont résisté à l’occupant sont devenus, après-guerre, la référence absolue. Par exemple, la jeune Masha Bruskina et ses dix compagnons, qui furent les premiers à être pendus en public. Mais, au début, ces groupes appelés « unités semences » manquaient cruellement de soutien. Sachant le sort qui leur serait réservé en cas de capture par les SS – la plupart des officiers envoyés sur le front de l’Est étant des psychopathes patentés – ils se mirent à saboter les communications et le ravitaillement des soldats de l’Axe. En représailles, Berlin dépêcha ses Sonderkommandos, milices ultra-violentes qui ont probablement inspiré à l’écrivain Frank Herbert les Sardokars de l’empire dans le cycle de Dune. Elles furent lâchées pour incendier des centaines de villages, provoquant quelques réactions indignées du haut-commandement allemand, craignant pour sa réputation.

Et puis, tout changea après la bataille de Stalingrad. La résistance vit grossir ses troupes et des régions entières du Belarus furent administrées par elle. Ce mouvement devint le plus grand d’Europe de l’Est, contrôlant 30 % du territoire. Le livre de Théodore Odrach, Wave of Terror, permet de mieux comprendre ce dur combat. Enfin, nouvel exemple de l’arroseur arrosé, débuta la gigantesque opération Bagration – du nom d’un général géorgien qui s’était naguère mis au service du Tsar pour combattre les troupes de Napoléon – et plus de 300 000 soldats allemands furent, à leur tour, balayés de la carte et le pays entièrement libéré.

La Pope Culture :

Les jolies croix orthodoxes ponctuent les routes aux abords des monastères et les prêtres – les popes – semblent plus hospitaliers que leurs homologues russes et géorgiens. J’ai moins remarqué de « monky » business ici, comparativement à la Géorgie, où la pope culture bat son plein. Il faut dire que les enjeux politiques et financiers ne sont pas les mêmes. Certes, le régime a mis le clergé en coupe réglée, mais les bureaucraties présidentielle et ecclésiastique s‘entendent bien et il est rare qu‘une querelle de chapelle défraye la chronique. Quant aux leaders des deux confessions principales – orthodoxe et catholique – ils se partagent les ouailles sans recourir, outre mesure, aux intrigues permanentes qui ont cours dans les pays voisins.

Les églises orthodoxes sont encore plus belles en hiver, lorsque la neige mouchette leurs bulbes bleu-nuit rehaussés d‘étoiles d’or. Elles ressemblent à des pâtisseries saupoudrées de sucre glace. A l‘intérieur, des dévotes en châle allument de longs cierges en récitant des prières à voix basse devant les icônes de la Vierge. Les églises catholiques sont plus quelconques, en comparaison, sauf celles qui, construites en brique rouge, rougeoient comme du corail au fond d‘une mer gelée.

Le Père-Président, qui n‘en est pas à un paradoxe près, se définit comme un « athée orthodoxe », oxymore qui n’est pas aussi absurde qu’on pourrait le penser. Staline en était bien devenu un, après être passé, dans sa jeunesse, entre les mains des sinistres directeurs des séminaires de Tbilissi. Lukashenko a aussi déclaré qu’être Biélorusse c’était : être russe, mais de meilleur qualité et il a parlé de Minsk comme de la « quatrième Rome », en référence à la célèbre prophétie du moine Philothée qui avait été adressée au grand prince de Moscou dans une lettre de l’année 1510 : « deux Rome ont chuté. La troisième, Moscou, tient debout. Et il n’y en aura pas d’autre ». Eh bien si, mon cher Philothée, il semble qu’il y en ait une quatrième, et c‘est Minsk… Du moins, c‘est Sacha (diminutif d‘Alexandre) qui le dit. Car selon Alexandre Grigoryevich, Moscou est aujourd‘hui en pleine décadence, tandis que Minsk a su préserver les vraies valeurs slaves et socialistes.

Le jour où Gargarine a dit “oui” :

Le rouge incarnat des baies d‘églantier ensanglante les bosquets. Dans les villages les plus pauvres, des pensionnaires vivotent dans des masures éventrées dont les toitures menacent de s‘effondrer sous le poids de la neige. Les citadins sont mieux lotis. Dans un centre-ville, un gigantesque bas-relief en béton commémore la journée mémorable du 12 avril 1961. Cette année-là, un Russe était parti à la découverte du cosmos.

Une de mes scènes favorites : c’est une journée de printemps. Le premier cosmonaute de l’histoire, Youri Gargarine, redescend sur terre à bord de son petit oignon de métal, le Vostok (Est). Porté par les vents, il atterrit dans un champ de la région de Saratov où une paysanne et sa fille sont en train de s‘occuper d‘un veau. On imagine leur effroi lorsque le pionnier de la conquête spatiale soulève la visière de son casque et leur lance : „Ne craignez rien, je suis des vôtres ! Un Soviétique !“, puis leur demande s‘il n’y aurait pas un téléphone dans le coin, pour qu‘il puisse prévenir Moscou… Car personne ne sait encore à quel endroit il s’est posé. Et lorsque la paysanne, un peu remise de ses émotions, lui demande, en rougissant, s‘il descend vraiment du ciel, Youri répond simplement : “oui”.

Le culte des héros :

Sur les murs des halls d‘écoles, sont affichés les tableaux d‘honneur des meilleurs élèves et des champions de sport. Un bon moyen de faire des émules. A peine âgés de quinze ans, bardés de médailles, ils font penser à des généraux de corps d‘armée, la poitrine épinglée d‘insignes. C‘est jouer avec la fibre patriotique et rappeler que chacun travaille pour faire progresser le groupe, selon la saine maxime spartiate. Une maxime justement, en voilà une autre, peinte en rouge sur le fronton d’une administration municipale : Celui qui veut, trouve un moyen ; celui qui ne veut pas, trouve un prétexte. Deux fonctionnaires en chapka échangent un salut fraternel à l‘entrée du bâtiment. Au troisième étage se trouvent les portes capitonnées de brun des bureaux de la Prokuratur, qui font penser à celles de Mordor. Une chose est sûre : moins on y entre, mieux on se porte… A moins d’être le Porteur de l’Anneau.

Les nouveaux alchimistes :

Jadis, le prince Yousiaslav régnait d’une main de fer sur cette bonne ville de Polotsk. Il tâtait de l’alchimie et maîtrisait la magie, blanche et noire. Aujourd’hui, le prince-sorcier est mort, mais les alchimistes ne se sont jamais aussi bien portés. Aux abords de la ville, fument les hautes cheminées de la raffinerie Naftan, avec ses tanks à propane, en forme de cigare et ses sphères à butane, ressemblant à des ballons de football. Naftan est aussi le nom de l’équipe de football jouant en première division, un nom bien choisi puisque „naft“ signifie „pétrole“ en russe. Les longues écharpes blanches de la fumée se mêlent aux nuages gris-anthracite jusqu‘à disparaître dans le ciel en franges diaphanes.

C‘est une des plus grandes raffineries du monde et un des plus gros employeurs du pays. Elle occupe plusieurs centaines d‘hectares et vend toutes sortes de produits pétroliers, à l’état gazeux, liquide ou solide. Dans ses usines et ses laboratoires, plusieurs milliers d‘ouvriers œuvrent, en bleu de travail, à la transformation du pétrole brut en toutes sortes de dérivés indispensables à la grande machinerie de nos vies.

Energie fossile, dépendance, pollution… La lente transition vers les énergies dites “propres” n’est pas au programme. Comment faire autrement ? Ici, on raffine le brut importé car le Belarus n’a pas de ressources naturelles. Le parc de stockage est impressionnant : bacs à toit flottant, descendant ou remontant selon le niveau du liquide. De gros pipelines courent le long de la route. C‘est l’oléoduc qui transporte le pétrole en provenance de Russie. Une affiche annonce : Naftan : une technologie de pointe pour nos vies !

Les tensions récurrentes avec le voisin russe sont souvent liées à la question pétrolière. Le jour où le Président biélorusse est revenu sur sa promesse d’ouvrir son marché aux capitaux russes, le Kremlin a réagi en augmentant le prix du baril et en soutenant les partis politiques de l’opposition. La riposte ne s’est pas fait attendre : les « techniciens » russes, suspectés de collision avec les mouvements anti-régime, ont été expulsés.

Boris est chef d’équipe. Sympathique moustachu en bleu de travail, c’est un amateur de pétanque depuis que son cousin, qui a épousé une Toulonnaise, lui a offert un jeu de boules : “ Obut, la meilleure marque, n’est-ce pas !” déclare-t-il avec fierté. Il travaille dans la raffinerie depuis dix-sept ans et son fils le rejoindra une fois ses études de chimie terminées.

On déguste un thé brûlant dans la grande salle de réunion en regardant les photographies encadrées sur les murs, notamment celles de l’équipe de football. Ici aussi, dans une vitrine, un buste de Karl Marx jouxte trois icônes et un livre relié consacré aux partisans de la Grande Guerre Patriotique.

Boris connaît sa raffinerie sur le bout des doigts. Une histoire de famille, car son père figurait parmi les pionniers : « les travaux de construction ont commencé en 1958 et cinq ans plus tard on sortait notre premier baril. Aujourd’hui où j’vous parle, le sort de milliers de familles est lié à Naftan. Et on vote aux élections pour que ça dure.”

Le personnel est choyé par le comité d’entreprise. “On travaille ensemble, en famille”, explique-t-il. Il y a un centre de loisirs pour les enfants au nom évocateur des prouesses spatiales soviétiques, ainsi qu’un camp d’été au bord du lac Yakovtsy. Et bien sûr, une équipe de hockey sur glace.

Boris aime et respecte son travail, ce qui fait plaisir à voir.

“Savez, le sommet du baril, comme on dit chez nous, c’est les dérivés du pétrole les plus légers, ceux qui se vendent le plus cher. On vise au rendement maximum pour les deux champions de la troupe : l’essence pour les voitures et le kérosène pour les avions. Sans ces deux-là, vous seriez pas ici devant moi aujourd’hui, pas vrai ? Et si ça s’trouve, le carburant qui y avait dans les réservoirs du Boeing que vous avez pris pour venir, c’est nous qui l’avons raffiné.”

Je lui dis que j’en serais honoré.

“Bon, poursuit-il, en gros, voilà comment on s’y prend. Vous allez voir, c’est du travail d’équipe, exactement comme au hockey, ou à la pétanque. On peut rien sans les autres. C’est une chaîne où chaque maillon est précédé et suivi par un autre (il fait le geste des doigts). Si l’un d’eux lâche, boum ! Tout tombe par terre et faut réparer. Mais, comme on dit chez nous : prévention vaut mieux que thérapie. Donc, on se serre les coudes. Et on se connaît tous, nous autres. Des gars qui travaillons pour not’ famille et pour not’ pays. D’abord, faut éliminer toutes les impuretés dans le brut qui arrive de l’étranger, surtout le souffre et le sel, car ces deux-là, c’est la cata… sont très corrosifs ! Pas bon du tout pour les moteurs… Bon, savez, le brut est un mélange de plus d’une centaine d’éléments. Ça va du plus léger, comme le gaz méthane, jusqu’au plus lourd, comme le bitume, avec lequel on vous coule de belles autoroutes… Bon, ces éléments, faut les séparer : c’est ce qu’on appelle le raffinage. Nous autres, on est comme les Écossais, sauf que not’ monstre du Loch Ness à nous, il est invisible et nous vient tout droit de Tchernobyl… si voyez c’que j’veux dire… Mais mieux vaut pas en parler, si on veut garder le moral…”

Pour ne pas le gêner, j’évite de faire dévier la conversation sur la question de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, sujet resté tabou dans le pays. En effet, en 1986, environ 70 % des dépôts radioactifs en provenance de cette usine nucléaire ukrainienne sont tombés sur le territoire biélorusse, en raison de la direction des vents dominants au moment de la catastrophe. Depuis, le régime en place fait comme si tout allait bien et que la radiation avait disparu comme par enchantement. D’autres chats à fouetter…

“Ici, vous voyez, on distille, continue Boris. C’est comme vos bouilleurs de cru, dans le Calvados !… C’est-à-dire qu’on sépare les éléments en fonction de leur température d’ébullition. Idem pour le whisky que vous dégusterez ce soir… du moins j’vous l’souhaite ! Savez, c’est pas plus compliqué… On va de la lourdeur à la légèreté : le pétrole chauffe dans une colonne de distillation et les composants légers, ils montent vers la partie haute, tandis que les plus lourds, ils tombent dans le fond. Un peu comme dans la vie…”

Boris me montre le schéma d’une colonne de distillation sur le mur. On observe qu’en haut, les gaz liquéfiés sont recueillis, puis, un étage en-dessous, le kérosène, et, en descendant, on trouve l’essence, puis le gazole et enfin, tout au fond de la cuve, le bitume, plus lourd et visqueux.

“Nous autres, on est fiers de not’ kérosène, poursuit-il. Bien sûr, faut surtout pas qu’il gèle. Faut qu’il puisse résister à une température d’environ moins quarante degrés. C’est ce qu’il faut si vous voulez l’utiliser dans vos avions. Autrement, c’est la panne assurée et ça fait pas joli joli… surtout avec un Boeing de trois cent passagers… En bien, le nôtre, il est garanti antigel jusqu’à moins 43. Et il s’vend très bien.”

La mécanique des fluides :

Brave homme, ce Boris. On ne peut pas lui en vouloir de polluer la planète. Les meilleurs bruts à bitume sont plus lourds et visqueux que les autres et viennent surtout du Venezuela et du Moyen Orient. Or, sachant que la viscosité d’un corps est sa capacité de résister à une force qui essaie de le déplacer, on peut dire que la société du Belarus été dotée d’une viscosité exceptionnelle. C’est, d’une certaine façon, une de ses qualités. Elle lui évite de se faire emporter par le courant des crises mondiales et autres cracks boursiers. Mais, d’un autre côté, c’est la conséquence de verrouillages politiques et d’un protectionnisme pleinement assumés par le pouvoir en place.

Cette raffinerie produit aussi des lubrifiants : huiles et graisses, pour lesquelles on utilise des additifs, afin d’améliorer leurs performances. Ces lubrifiants sont indispensables à nos sociétés ultra motrices, car ils permettent de réduire les frottements et donc de combattre l’usure de nos machines. Or, la gestion des frottements, c’est aussi le but de la politique. Et l’activité principale de l’administration présidentielle est de réduire au maximum les frottements dans la société. Pour y arriver, il lui faut huiler tous les rouages sociaux afin d’éviter qu’ils se grippent.

La machine politique et sociale fonctionne grâce à trois composants principaux. En premier lieu, le carburant, qui fournit l’énergie et se sacrifie sur l’autel du Bien Commun. Ce carburant, c’est le peuple, bien sûr, les travailleurs, les actifs. Ensuite, viennent les lubrifiants, qui font en sorte que les différentes pièces de la machine ne s’usent pas en se frottant les unes contre les autres, ce qui pourrait provoquer pire que l’usure : l’arrêt du système. Ces lubrifiants (huiles et graisses), ce sont, si on poursuit la métaphore, les salaires, les grandes messes patriotiques, et surtout la télévision. Bref, tout ce qui prévient, amoindrit ou soigne la crispation, l’énervement, la révolte ou la déprime. Ajoutons la fourniture d’eau et de gaz à tous les étages et, bien sûr, la vodka et le saucisson à des prix abordables. Puissants lubrifiants, la vodka et le saucisson !

Ensuite, viennent les composants métalliques du Gros Rouage : les engrenages et le piston. Dans la machine sociale, ces pièces, ce sont les forces de sécurité (police, armée, renseignement) et les institutions. Elles sont chargées de contraindre, de pousser, de donner l’élan, le rythme, mais aussi de ralentir la société quand c’est nécessaire. On inclut dans ce groupe les grandes entreprises étatiques, les universités, les écoles et les hôpitaux, où chacun est répertorié, fiché, accompagné, jusque dans ses loisirs.

Il en va de même au moment des élections, période de surchauffe de la machine, où le risque d’accident ou de panne est le plus élevé. C’est une période où il faut avoir préparé des stocks, des pièces détachées, et savoir les gérer habilement, ce qui est le rôle de l’administration présidentielle. Pendant cette période, elle a besoin de quantités supplémentaires : davantage de lubrifiants pour la maintenance des rouages. Et surtout, plus de surveillance.

C’est la période où le peuple reçoit des cadeaux. On construit une partie des routes promises, on programme des meetings, des fêtes votives, où l’alcool coule à bas prix et où les électeurs mangent à satiété, aux frais de l’administration, du moment qu’ils accomplissent leur devoir civique. La télévision marche aussi à plein régime et c’est la saison des talk-shows patriotiques, avec leurs chants, hymnes et comédies musicales contribuant à renforcer le lien social.

Non, on ne peut pas en vouloir à Boris de polluer la planète. Il me propose une cigarette que je fume à ses côtés, dans une cour, en discutant des rejets dans l’air et le sol. A tout prendre, on peut aussi bien fumer son paquet par jour, vu l’air qu’on respire. Ayant un peu l’expérience du nucléaire, je ne lui cache pas mes doutes quant aux tests “effectifs et complets” qui sont annoncés sur le site internet de la raffinerie… Qui effectue ces tests ? Le laboratoire de la raffinerie. A qui sont-ils envoyés ? A not’ ministère de tutelle…

Sans parler de l’eau, car raffiner, ça implique de consommer et de rejeter beaucoup d’eau… Comme dans tous les pays, pas d’omelette sans casser des œufs. Aujourd’hui, Naftan, c’est à la foi une raffinerie et une usine chimique. La pollution est chronique, même si des efforts sont faits pour la contrôler. Il y a toutes sortes de mesures et de protocoles pour protéger le personnel de l’inhalation et de l’absorption des produits toxiques, car l’évaporation du benzène, par exemple, peut provoquer des cancers et certains produits sont mutagènes – on verra ça dans Ka… – Les effluents de la raffinerie contiennent aussi de l’ammoniac, des phénols, et même du cyanure. Mais on ne peut passer son temps à tout contrôler…

A un dîner de consultants :

« Les gouvernements s’érigent et s’effondrent pour des raisons qui semblent insignifiantes, Prince. Des événements si mineurs ! Une dispute entre deux femmes… La direction du vent un certain jour… un éternuement, une toux, la longueur d’une parure ou la rencontre improbable d’un grain de sable et de l’œil d’un courtisan. » (Frank Herbert, Dune 3 : les Enfants de Dune)

Retour à Minsk, dans un restaurant pour nouveaux riches – ou bohémiens. Prix abordables cependant. Au menu : hareng en lamelles à la sauce corail, friand triangulaire aux légumes et pièce de bœuf aux airelles, accompagnée de purée de pommes de terre dans une sauce au vin. Et bien sûr, de la vodka poivrée. Dîner multi-ethnique : une Moldave collectionneuse de tableaux s’intéresse à l’histoire des Cathares. Une jolie kirghize au visage de porcelaine se plaint du mépris affiché par certains membres de son équipe de juristes selon lesquels les Kirghizes seraient un peuple « d’arriérés », une critique sans doute liée aux récentes violences ethniques au sud du Kirghizstan (voir la section dédiée au Kirghizstan sur le site Internet), pendant lesquelles des familles ouzbèkes ont été massacrées. Un diplomate allemand a été particulièrement méprisant : « vu ce que l’Allemagne nazie a fait ici, au Belarus, il n’y a pas si longtemps, il est mal placé pour donner des leçons”, commente la jolie juriste.

Certains vont jusqu’à dire que le Président du Belarus a joué un rôle dans les violences ethniques du Kirghizstan de l’été dernier (juin 2010), mais c’est peu probable. Ce qui est sûr, c’est qu’il a offert l’asile au président kirghize, obligé de fuir son pays, suite à la révolte populaire appelée la Révolution des Tulipes (voir la section consacrée au Kirghizstan sur le site Internet).

Le conseiller Piotr voyageant pour « affaires personnelles » :

Piotr fait partie des jeunes Polonais qui analysent la vie politique de leur voisin biélorusse, en long, en large, et surtout en travers. Rien à voir avec le consultant du roman Le Maître et Marguerite, un nommé Woland… Malheureusement, car c‘est précisément d‘un type de cette trempe dont on aurait diablement besoin ici, et ailleurs (en France surtout). Mais passons… Piotr est à Minsk depuis avant-hier et confirme qu‘il n‘a jamais pris de petit-déjeuner avec Emmanuel Kant…

Affublé d’un large front et d’une barbiche taillée à la Lénine – personnage qu‘il exècre puissamment – il copie dans sa gestuelle toute une série de poses empruntées aux séries américaines. Mais ce qui le motive le plus, c‘est la fabrique des élections.

Il a fait ses premières armes dans une ONG financée par les Etats-Unis au moment de la révolte qui a fait tomber le régime de Milosevic en Serbie. Fort de cette expérience, il s‘en est allé former les Géorgiens aux méthodes du renversement de pouvoir en douceur, qui ont débouché sur la Révolution des Roses, en 2003. Étrangement, il ne s‘est pas rendu ensuite en Ukraine, pour participer à la Révolution orange, alors qu’elle offrait un terrain de jeu encore plus grand. Toujours est-il que le voici aujourd‘hui au Belarus et il ne cache pas son inquiétude : „Cette fois-ci c‘est différent. Le régime est prêt à tout pour se maintenir. Je crains le pire.“

Son père était un nationaliste aux penchants anti-soviétiques ce qui fait que Piotr a une revanche à prendre sur le Kremlin. Il a rencontré son idole, Zbigniew Brzezinski, à Washington, et a visité les bureaux du NED, la structure qui chapeaute l‘assistance américaine à la démocratisation dans le monde. L‘exportation du modèle démocratique américain est une entreprise florissante. « C‘est ce qu‘on appelle le outreach… Est-ce qu‘il y a un mot équivalent en français ? », me demande Piotr.
« Humm… sensibilisation, je crois. »
« Oui, c‘est ça, mais ça va plus loin, ça suffit pas de sensibiliser, il faut expliquer. Pas seulement leur donner le mode d‘emploi, même si, au bout du compte, on propose un Do it yourself, service après-vente à la clef. Mais ici, wouaaahh, ça va être chaud, mec ! Le pouvoir en place, il a vu passer les deux révolutions de couleur chez les voisins et sait à quoi s‘en tenir… On n‘aura pas d‘effet de surprise, c‘est ça le hic… Et en plus, le gouvernement a fait voter une loi qui punit le fait, pour une ONG, de recevoir de l‘argent de l‘étranger. Putain !… ça nous coupe l‘herbe sous le pied ! (Il fait le geste) Sans parler du Code pénal, bon Dieu !… Vient d‘être modifié pour sanctionner tous ceux qui sont considérés comme des „conspirateurs“, ou des „agents de l‘étranger“, c‘est-à-dire, en gros, ceux qui travaillent avec nous dans l‘opposition… Même chose en Russie où le Kremlin il copie pas mal de trucs qu‘il observe ici. D‘ailleurs cette ville, mec, elle est truffée d’espions… » Il baisse la voix en poursuivant : « Le gars là-bas, derrière le bar – mais te retourne pas – c’en est un, et de première catégorie… Il m’suit comme une ombre depuis avant-hier… Je m’en fous… En fait ici, c‘est une sorte de labo pour les Russes. Faut dire que le vieux, il est au pouvoir depuis bien plus longtemps que son homologue du Kremlin, qui peut pas le blérer, ceci dit en passant… Le pouvoir attire les psychotiques, mec… Toujours… »

Piotr entame sa troisième bière en poursuivant : « bref ici, la démocratie, c‘est ni fragile, ni émergent, mec… c‘est juste… verrouillé, à double tour. Point barre !… Tu verras… Vont continuer à jouer le jeu, pour la galerie, en faisant comme si les élections étaient compétitives… Tu parles !… Au final, le régime, il s‘en tape des critiques !… Sont prêts à assumer… et dépensent moins en cosmétique électorale que les Ruskov, qu’ont plus intérêt à jouer le rôle de bons élèves… Bref, on espère les vaincre par les tensions qu’on a aidé à introduire dans la société civile, mais ça suffira pas cette fois, mec… La tension, c’est un outil puissant, mais ça suffira pas… »

Il semble soudain démoralisé. « J‘aime mieux te dire que la révolution Orange ukrainienne, ça a été un sacré choc, vu d‘ici… Le régime, il a tout de suite pigé le danger. Un peu comme le 11 septembre pour les Ricains… Une sorte de réveil… Tu t’rappelles comment le vieux, il a menacé l‘opposition, à la télé : il n’y aura pas de révolution de la rose, de l’orange ou même de la banane ici ! Excellent, j’avoue… fallait la trouver… Bref, il a promis la guerre et il a tenu parole… Deux de mes potes, des Géorgiens, ont été placés en garde à vue. Sont pas restés longtemps en taule, mais quand même… »

Il se met à réfléchir tout haut en fixant sa pinte de bière : « Comprends pas pourquoi les Ricains, ils y sont pas allés plus molo, en Ukraine. Fuck !… Ya quand même des moyens plus subtils, bordel !… Du coup, la vieille garde, elle s‘accroche au pouvoir… elle a pigé… Peut voir le coup venir. C‘est plié… Avant, nous, les Européens, ont étaient vus comme des partenaires potentiels, très différents des Yankees… On contribuait à équilibrer un peu les choses dans le nouveau monde… Mais, depuis que le Président ukrainien a dû prendre ses cliques et ses claques à cause d‘une révolte populaire orchestrée par Washington, tout a changé… L’Europe est devenue l’ennemie, l’alliée patentée de la Maison Blanche et maintenant le Kremlin défend son pré carré. »

Je me demande pourquoi il est venu à Minsk s’il a aussi peu d’espoir. Une femme, peut-être… C’est vrai que le président du Belarus est prêt à tout pour se maintenir au pouvoir et qu’il a acquis la panoplie complète : refus d‘enregistrement administratif des ONG, contrôle de leur financements, amendes, interdiction de se rassembler, harcèlement, menaces, disparitions forcées, arrestations, peines de prison, détention arbitraire, aveux obtenus sous la torture et jusqu‘aux meurtres perpétrés au grand jour.

Une méthode plus récente est de créer toutes sortes d‘ONG, soumises au pouvoir, pour contrecarrer celles qui sont considérées, souvent à juste titre, comme une cinquième colonne à la botte de Washington. Ces ONG de façade se multiplient comme des petits pains et leurs „consultants“ sont envoyés travailler au corps la société civile. La Chine, notamment, est preneuse de bons conseils et vend sa technologie de surveillance d’Internet aux Biélorusses.

L‘apprenti-sorcier :

Quelques semaines plus tard, à Polotsk, je rencontre, par hasard, l‘alter ego de Piotr, mais cette fois, côté biélorusse. Il s‘appelle Dima (diminutif de Dimitri) et c’est un apprenti-sorcier passionné, lui aussi par la fabrique des élections. Son idole n‘est pas le prince Yousiaslav qui jadis s‘envolait dans les airs, mais le magicien et consultant moderne Gleb Pavlovski, faiseur d’élections de nationalité russe et qui séjourne souvent à Minsk.

A la faveur d’une partie de billard, le jeune Dima – vingt-trois printemps et déjà fan d’humour noir – me parle d’un documentaire russe, The Godfather, qui est un bon exemple de manipulation pré-électorale. C’est un film que le Kremlin a récemment commandité et qui trace un portrait très critique et souvent grotesque de l’actuel président du Belarus. Ça peut paraître étrange, venant d’un pays voisin et fraternel, mais les relations entre Minsk et Moscou se sont dégradées, en raison notamment sur la question pétrolière.

Ce brulôt diffusé sur Internet et donc destiné à faire pression sur le Père-Président : tu te calmes ou on t’enfume. Lukashenko est montré du doigt comme un émule d’Hitler, assumant pleinement son rôle de dictateur manipulateur d’élections.

Dima vient de lire un roman policier qui se passe à Moscou, mais il est resté sur sa faim : « ça parle trop peu des élections ; ça fait qu’effleurer le sujet. Et rien sur Smirnov ou Pavlovsky… J’en écrirais bien un moi-même, de thriller électoral… » Il a l’intention de se faire recruter par une des meilleures agences de consultants de Moscou, dès que possible. Autant viser haut. Il ambitionne de faire partie du club de ceux qui tirent les ficelles : consultants, analystes, experts en « dirty tricks ». Bref, il veut s’amuser. « Pas besoin de tuer un opposant », explique-t-il, avec un demi-sourire et une expression visionnaire dans ses yeux clairs. « Il suffit de bien connaître les nouvelles techniques issues de la théorie des jeux. Comme la méthode Smirnov (décidément, ici tout est lié, puisque le sorcier Yousiaslav et Smirnov le consultant sont aussi deux marques de vodka.)

Denis m’explique de quoi il retourne.

“Par exemple, tu fais paraître, dans la presse locale, une annonce pour un loto, avec une question sur la politique et un gros prix à la clef, genre… voyage en Grèce. Bon, tu demandes au public de choisir le candidat qui, à ses yeux, gagnera les prochaines élections. Ceux qui donneront la bonne réponse gagneront le voyage en question, juste après l’annonce des résultats officiels. Et surtout, tu fais en sorte d’avoir publié, juste avant, un sondage d’opinion, toujours dans la même presse locale, avec le nom du candidat que toi et ton équipe, vous voulez voir gagner, en première position.”
“Le client, en somme…”
“Oui, c’est ça. Le client. C’est un sondage bidon, bien sûr, mais on s’en tape…”
“Et alors ? Ensuite ?”
Il sourit. “Ensuite ?… Eh bien, la même chose qu’à Samara, quand cette méthode été testée. Tu vois, les joueurs de loto, ils vont inscrire ce nom en premier sur leur feuille, pour la simple et bonne raison qu’ils veulent tous gagner le prix ! La voiture ou le voyage aux frais de la princesse… Tu saisis ?… Peu importe s’ils n’ont jamais eu l’intention de voter pour ce type !… A présent, il est devenu leur candidat ! Il peut compter sur leur vote, le jour J. C’est dans la poche (ou plutôt dans l’urne…) Bon, eh bien, après, il te suffit de renouveler l’opération, une ou deux fois, avec d’autres prix à gagner (un ordinateur, une moto…) et tu peux être sûr que c’est gagné. Car ce que veulent les gens, partout et toujours, c’est une vie meilleure… Ils s’intéressent pas du tout au fond des débats ou aux programmes politiques si tu t’arranges pour concentrer leur attention sur le résultat du loto.”

Bref, ce jeune homme tranquille a les dents longues et affiche un cynisme de bon aloi. Nul doute qu’il saura vendre ses services : “Faut savoir traiter le mal par le mal, copier l’adversaire.”

Tout comme le Père-Président, Dima apprécie les films de Steven Seagal, un proche du régime, même si les arts martiaux ne sont pas vraiment sa tasse de thé.

Il reçoit un coup de fil de son cousin, qui étudie les langues étrangères à Moscou, puis la conversation reprend sur le sujet des sources ouvertes. Le cousin de Dima est un jeune hacker, artiste solitaire qui passe son temps à ouvrir des fichiers cadenassés sur Internet. Mais Dima se satisfait des sources ouvertes.

“Tu sais, suffit de lire ce qui est disponible sur Internet pour que tout le royaume s‘ouvre à toi… C‘est ce qui est bien avec les Américains. Beaucoup est open source. Par exemple, les audiences devant le Congrès, que n‘importe qui peut télécharger. Pour peu que tu comprennes l’anglais, tu peux y lire tout ce que les Américains ont l‘intention de faire. Ça ressemble à des audiences judiciaires, avec les parties qui disent tout ce qu‘elles ont à dire pour convaincre le juge. Rien à voir avec la Russie, où tout est tenu secret.”
“Tu peux donner un exemple ?”
“Bien sûr ! Regarde, par exemple, ce que dit le NED – la plus grosse structure qui chapeaute l‘aide américaine à la démocratisation – en réponse à la lettre d’un sénateur… Comment il s’appelle déjà ? Humm… Lugar, je crois. En gros c’est : pas d‘alternative à la démocratie. L‘ingérence est une norme acceptée en droit international et donc on peut faire ce qu‘on veut. Le modèle américain peut être copié, et doit l’être, partout dans le monde et les marchés intérieurs doivent s‘ouvrir. Un Starbuck dans chaque ville, point barre ! Et qu‘on nous lâche les baskets avec traités de Westphalie et le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures. C’est has been. Aujourd’hui c’est : Open doors, please. Alors nous, on fait comme les Japonais, on copie. Tout l‘arsenal du soft power américain, on se l‘est approprié. Je parle de nous au sens large, à Minsk comme à Moscou. C’est la realpolitik…”

La fabrique des Pères :

“Elles savent si bien créer ces mythes qui font dormir les hommes !”(Frank Herbert, Dune 3: Les Enfants de Dune)

Si, au onzième siècle, le prince-sorcier avait la réputation de pouvoir s’envoler dans les airs, un millénaire plus tard, le Père-Président a acquis celle de pouvoir se faire réélire, à chaque scrutin, avec un score inchangé. Autre type de magie.

Imaginez… Minsk. La grande salle des congrès. La réunion annuelle de tous les responsables de l‘administration. Genre grande messe du parti communiste aux temps glorieux. Des centaines de fonctionnaires du régime assis pour écouter Bat’ka. Le Président est confortablement installé devant eux, sur une estrade, derrière un bureau. Il sourit. Sa moustache s‘étire. Elle est d’un style intermédiaire entre Philippe Pétain et Joseph Staline. Comme eux, Lukashenko pose en Bon Père de Famille, garant de la stabilité et des bonnes moeurs. Costume gris de rigueur, en homme de dossiers capable d‘abattre ses douze heures de travail journalières sans sourcilier, pour le bien commun. Grandeur et sacrifice. Mais pourquoi sourit-il, dans ce vaste hall éclairé par des lustres ?

Il sourit car il se souvient… Il se souvient du bon moment passé sur un plateau de télévision, quelques semaines plus tôt. Un humoriste en vogue y avait raconté une anecdote… Et c’est pourquoi le Président sourit, à l‘évocation de ce souvenir. N‘y tenant plus, voulant faire renaître ce moment de franche rigolade, il se penche soudain sur le bureau et, choisissant, parmi les centaines d’administrateurs présents, un petit fonctionnaire insignifiant et râblé, assis modestement du côté gauche de la salle, il le charge de raconter cette anecdote à toute la salle, puisqu‘on est en bonne compagnie et que la plupart des autres ne connaissent pas encore cette petite histoire.

Le fonctionnaire se lève de son strapontin en tremblant. Il a l’allure d’un parfait rond de cuir, un pur produit de la bureaucratie biélorusse. Avec un faux air du personnage de Berlioz dans le Maître et Marguerite, il se met à bafouiller, des gouttes de sueur commençant à perler sur son front. Il prétend ne pas bien se souvenir… Peut-être n’est-il pas le mieux placé pour…

“Mais si, mais si ! Griegor Filipovitch, allons !” insiste le chef de l’État, inflexible.

Impossible de se débiner devant l‘insistance du Père… Alors, le pauvre gratte-papier prend son courage à deux mains et finit par admettre, avec un dévouement méritoire :

“Ah oui, oui, euh… ça y est !” bredouille-t-il. “Oui, ça… ça me revient maintenant…” Et Griegor Filipovitch de se lancer, en s‘épongeant le front.

“Bon, alors voilà, hum… donc, c‘est après un accident d’avion, euh… il y a trois rescapés : Obama, Poutine et… Lukashenka (rires dans l’assistance). Oui, tous les trois ils se retrouvent dans un bateau pneumatique. Ils ont, euh… échappé de peu à la mort, mais… il faut maintenant que l‘un d‘eux se mette à ramer…” (nouveaux rires dans la salle, qui font que le brave Griegor Filipovitch reprend un peu confiance).

“Alors voilà : Obama, il se récrit aussitôt en disant : mais j‘suis le chef de la plus grande puissance du monde, alors je ramerai pas ! (éclats de rires dans la salle). Bon… et puis, c‘est le tour de Poutine de refuser.”

Mais, à ce moment du récit, Griegor Filipovitch se met à se gratter le crâne, cherchant ses mots et se remet à bafouiller : “euh, Poutine, il dit, je… Je suis… enfin… j’ai… », jusqu‘à ce que le Père-Président, magnanime, lui vienne en aide : « j‘ai l‘arme nucléaire ! »

Griegor Filipovitch respire à nouveau : “Ah oui, merci, c‘est ça, tout à fait ! j‘ai l‘arme nucléaire, qu‘il dit, Poutine. Et donc il rame pas non plus, c‘est niet ! (nouveaux rires dans la salle). C‘est alors que… Notre Lukashenko, eh bien il leur propose, aux deux autres : faisons un vote pour nous départager… (rires plus soutenus). Et Obama et Poutine, ils acceptent.”

De nouveau, le narrateur s‘éponge le front puis se racle la gorge, avant de poursuivre, en parlant plus vite : “Eh bien, voilà… donc, peu de temps après, on voit Obama et Poutine qui tiennent chacun une rame et qui souquent et souquent, avec un air maussade, dépités… Alors Obama, il s’penche et chuchote à l‘oreille de Poutine : dis-moi, Valodia, qu’il lui dit, tu peux m‘expliquer un truc, car j‘avoue que je comprends pas… On est que trois dans ce bateau, alors comment ça se fait que Lukashenko, lui, il ait eu quatre votes ?

A cet instant, un immense éclat de rire retentit dans la salle des Congrès, à en faire trembler les lustres, tandis que le héros de l‘histoire, le dictateur auto-assumé, se tient les côtes, tant il affectionne cette anecdote.

Cette scène en dit long. On peut se demander pourquoi le Père-Président aime autant cette histoire. La réponse est facile à trouver. Premièrement, les anecdotes de ce type sont très appréciées dans tous les recoins de l‘ex-Union soviétique. Elles sont une manière de briser les tabous et de s’affranchir, pour un instant, d‘un carcan parfois lourd à porter, tout en ne se mettant pas personnellement en danger, puisqu‘il s‘agit juste de raconter, ou d‘écouter, une histoire qui passe dans toutes les bouches, sans avoir à donner son opinion sur le sujet.

Deuxièmement, cette histoire flatte son égo, puisqu‘elle le montre remportant une bataille sur les deux chefs des plus grandes puissances du monde, même si, pour cela, il lui faut tricher aux élections. Seul le résultat compte.

Troisièmement, il n‘a plus à se cacher derrière un écran de fumée en prétendant jouer le jeu de la démocratie, comme au début de sa carrière et assume pleinement les fraudes, s‘amusant même à ses “tours de magie”. Rappelons que la toute première fois qu’il s‘est présenté aux élections présidentielles, il a été élu sans fraude. C‘était peu de temps après l’indépendance du pays. Il avait récolté pas moins de 80 % des voix. Par la suite, il a fait en sorte que ce coquet score se maintienne. Car symboliquement, être réélu avec un pourcentage plus faible – même 75 % – un score qui ferait baver n‘importe quel candidat d‘une démocratie occidentale – ce serait admettre avoir perdu 5 % des électeurs et on sait qu‘une fois le pied engagé sur cette pente, c‘est la glissade assurée, tôt ou tard.

Le sorcier des urnes :

Le Père-Président a donc décidé d’assumer, sachant que personne n’est dupe. D’ailleurs, certains l‘appellent affectueusement le sorcier. Pour se justifier, il ne rate aucune occasion de dénigrer la démocratie et ses valeurs décadentes. Elle est présentée comme une hypocrisie et il faut avouer que nous lui tendons souvent le fouet… Autres leitmotiv : la « liberté » occidentale réservée aux super riches, le chaos des banlieues où la police n’ose se rendre. Un jour, il a même répondu à un journaliste : “je préfère être un dictateur qu‘un homosexuel.”

Il est probable que son électorat réel se situe autour des 50 à 60 % des voix, car il peut compter sur un vivier d’électeurs qu’il a fidélisés en les rassurant et en les faisant profiter de la stabilité du pays.

Interrogé en 2006 par des journalistes sur les raisons de son score aux élections (84,4% des voix), il explique, sans la moindre gêne, qu’il a en réalité obtenu 93,5 %, mais qu’il a demandé aux commissions électorales de réduire ce chiffre, pour ne pas choquer l’opinion publique occidentale, habituée à des scores plus modestes.

Pour y parvenir, il faut disposer d’un système bien rodé. Une des méthodes est de faire voter à l’avance, comme la loi le permet, les électeurs appartenant à des groupes facilement influençables, comme les ouvriers des entreprises publiques, les fonctionnaires et les étudiants. On fait aussi passer le message aux directeurs des nombreuses usines d’État que tous ceux qui ne parviendront pas à faire voter au moins 60 % de leurs employés pour le bon candidat seront limogés. Et, aussitôt, on voit fleurir, comme par miracle, de nouvelles idées, car personne n’a envie d’annuler une croisière en Croatie en famille.

Il faut comprendre que si Bat’ka réprime les mouvements d‘opposition, emprisonne les leaders qui lui font de l‘ombre et muselle les médias, ce n‘est pas par méchanceté, mais par réalisme. Ceux qui – nombreux – le prétendent idiot n’ont rien compris. Il ne peut, tout simplement, pas prendre le risque de devenir le dindon de la farce. Qui le voudrait ? On a vu comment ça s‘est passé pour son copain Milosevic… Non, Bat’ka est loin d’être un imbécile et il sait bien ce qui se passerait s‘il baissait la garde, ne serait-ce qu‘une fois : battu aux élections, il verrait une commission d‘enquête se mettre aussitôt en place et il serait, lui et sa famille, son entourage, bref tous ceux qui profitent du système, questionnés, tenus de rendre des comptes, humiliés.

Il a vu la chose se produire ailleurs, sur des vidéos postées sur Youtube. Perdre les élections, c‘est tout perdre. Comme au Bangladesh. Et il sait qu‘il est allé très loin dans la répression et la corruption et que l‘opposition ne lui pardonnerait pas, en cas de victoire. Et quand bien même il serait laissé en liberté, ça ne soulagerait en rien le poids de l‘humiliation, à l‘instar du Renard du Caucase, Chevarnadze, limogé lors de la révolution des roses, en Géorgie, puis autorisé à rester au pays à la condition de ne plus faire de politique… Bref, c‘est eux ou lui et il pourrait citer de mémoire Samuel L. Jackson : « et mon pote, tu penses pas une minute que ça sera moi ! » (2).

Surtout que la dynastie est en marche : Papa affiche son fils cadet (Nicolas, alias Kolya) à chaque occasion, un blondinet groomé pour prendre la succession, même s‘il faudra encore attendre un peu. Mais rien ne presse… Le pouvoir, on y prend goût, n‘en déplaise à Henry IV… Il en va de même en Azerbaïdjan, dans la famille Aliyev, qui fournit le modèle. Depuis que le fils (Ilham) a succédé au père (Heydar) à la présidence de la république, le clan règne sans partage et ça fait déjà un bon quart de siècle. Même recette, même effets… ou presque : paternalisme, clientélisme, communication-propagande (la sacro-sainte « PR »), et une politique de la carotte et du bâton. Passons en revue cette méthode éprouvée.

Paternalisme : le chef est adulé, son portrait affiché un peu partout. Il est omniprésent et omniscient, comme le sociologue Max Weber l’a théorisé (3). Il se sacrifie pour son peuple et veille à son bonheur, combattant ses ennemis (type idéal : le Maréchal Pétain).

Lukachenko met l‘accent sur la symbolique des partisans qui ont résisté aux Nazis et s’inscrit comme un Sauveur osant dire „non“ aux hypocrites Occidentaux qui, sous prétexte d‘apporter la liberté, veulent imposer les lois du marché, qui entraîneraient un accroissement du fossé entre les riches et les pauvres. Et il n‘a pas tort.

Clientélisme : le système permet d‘assurer un minimum vital à la population, que Lukashenko a réussi à homogénéiser, tout en choyant une élite qui correspond, grosso modo, à dix pour cent de la société. Elle occupe toutes les positions clefs : police, armée, services de renseignement, ainsi que l‘industrie et les banques.

Communication-propagande : malgré la mainmise sur les institutions, beaucoup dépend, quand même, de la communication et de la propagande officielles, qui occupent une bonne partie des efforts de l‘administration. Il faut marteler les grands principes. D‘où la cohorte des commémorations, inaugurations, anniversaires, parades, et autres cérémonies. Bref, beaucoup d’huile dans les rouages. Les cameramen ne chôment guère, mais il est interdit de filmer le Président de dos… Question de respect.

Quant à la politique de la carotte et du bâton, elle est vieille comme Hérode et se résume à récompenser les fidèles et à taper sur les opposants, et encore plus fort sur les traîtres.

La fabrique des Pères n‘a donc jamais fermé ses portes. Le bon peuple est rassuré devant une figure de l‘autorité incontestable. On lui épargne les débats parlementaires sans fin et la logorrhée des droits de l‘homme. Il ne croule pas sous la cascade des lois nouvelles, comme dans les démocraties occidentales, qui remettent en question ce qui a été édifié la veille, au point que personne n‘y comprend rien. Non, au Belarus, les choses sont simples ! Il suffit à un juriste de quelques fiches bristol pour s‘y retrouver dans le droit et la procédure, à la différence de la jungle juridique occidentale dans laquelle le magistrat le plus chevronné se perd parfois, passant à côté d‘un nouvel alinéa qui fera s’écrouler, en cassation, le jugement qu‘il a rédigé en sacrifiant son week-end.

Cette fabrique des Pères fonctionne d’autant mieux que le système est culturellement familial et patriarcal. Travail, Famille, Patrie. On connaît… Mais au moins, ici, le Président s’affiche en monsieur tout le monde, arrachant une carotte de son potager, à la télévision, pour la tendre à l’acteur Steven Seagal, venu lui rendre visite. Tout comme Staline, il cultive une image de paysan mal dégrossi. Il lui suffit de dépasser le président russe d’une bonne tête. Pas besoin d’un costume mieux coupé. De toute façon, il est arrivé au pouvoir avant lui.

Il faut admettre qu’il est réellement le premier chef ayant su mettre en place un contrat social au Belarus et faire en sorte que l’écart entre les riches et les pauvres soit moins flagrant qu’en Russie ou en Ukraine. Les charges restent peu élevées : le gaz et l’eau étant fournis quasi gratuitement et la situation économique du pays n’est pas la catastrophe qu’on nous dépeint habituellement. La criminalité est quasiment absente des rues, ou du moins invisible. Et aucun attentat terroriste à déplorer, ni aucune participation à des « aventures militaires internationales », selon les propres mots du bon père de famille. Bref, une vie tranquille…

Luka a un certain charisme, surtout si l’on se réfère à la définition du leader charismatique proposée par le sociologue Max Weber. Et il sait utiliser le registre émotionnel. Lors de sa toute première campagne électorale, en 1994, alors que son adversaire mal avisé centrait ses discours sur le thème de la culpabilité, reprochant à son pays d’être arriéré, en comparaison de ses voisins européens, Lukashenko, au contraire, faisait l’éloge de son peuple et lui promettait « du pain et du saucisson. »

Il commença à se faire un nom peu après l’indépendance du pays, utilisant son poste de Président de la commission parlementaire de lutte contre la corruption comme un tremplin. Se faisant passer pour un incorruptible, il annonça habilement lors d’une séance mémorable, brandissant une liasse de documents, qu’il détenait toutes sortes de preuves accablantes contre de nombreux élus assis dans l’hémicycle, ce qui était en partie faux… Mais seul le résultat compte… Un de ses conseillers, ancien soldat d’Afghanistan, lui orchestra même une fausse tentative d’assassinat pour le faire gagner en popularité, suivie par une campagne d’intimidation de nombreux adversaires, dont plusieurs disparitions forcées (un des proches de ce conseiller n’est autre que le vendeur d’armes et aventurier Viktor Bout, qui a servi de modèle à Nicolas Cage dans le film Lord of War, et qui purge une peine dans un centre pénitentiaire américain.)

Il a réussi à se faire passer pour le pourfendeur des riches, faisant jouer son origine rurale et mettant en avant sa position « au-dessus des partis » avec des formules simples et rassurantes. Son slogan a fait mouche : ni à gauche, ni à droite, mais pour le peuple ! Très habile. Dans ses discours, il fait aussi de nombreuses références au sport, présenté comme le remède à tous les maux, et parle des femmes de son pays, telle Maryna Linchuk, comme des plus belles du monde, ce qui n‘est pas loin de la vérité.

Beaucoup de Biélorusses ont peur du changement, en partie avec raison, en partie à cause de la façon avec laquelle les médias présentent la situation dans les pays occidentaux. Par exemple, lorsque quelques voitures prennent feu dans la banlieue parisienne, le message qui passe sur les ondes biélorusses est que la France est au bord de l’implosion. Une enseignante m’a dit avec une expression sidérée : “mais Jacques Chirac a fait tellement de choses pour la France !”, abasourdie d’apprendre que l’ancien Président était mis en examen par un juge.

Épilogue :

Retour au Belarus, quelques mois plus tard, au printemps. Un train de nuit, de Kiev à Minsk, en traversant la frontière internationale. Pas moins de quatre contrôles. A une heure du matin, un douanier biélorusse entre dans mon compartiment et aboie « passport !!! ». Puis, remarquant mon étui à guitare, il écarquille les yeux, s‘exclamant : Jo Dassin !, et se met aussitôt à chanter : “la la la… quand tou voudra ou tou voudra… et on s’émoura encore… la la la… lalalala…” Puis il me sert chaleureusement la main et m‘explique que c‘est sur cette chanson qu‘il a séduit sa femme. A la suite de quoi, il jette à peine un coup d’œil à mon passeport et referme la porte soigneusement, en me souhaitant une bonne nuit.

Une heure plus tard, alors que je suis enfin parvenu à m‘endormir, le train s‘arrête de nouveau et un jeune homme entre dans le compartiment. Cheveux courts et diamant à l‘oreille. Il se met aussitôt torse nu et se couche, imberbe et musclé. Le lendemain matin, au réveil, il commande deux cafés et se met à me raconter son histoire. Il est Biélorusse, mais habite dans l’Ukraine voisine et se rend chez sa mère, à Minsk, pour célébrer la journée de la femme. Son activité dans la vie ? Strip-teaser. Devant mon air étonné, il extirpe de sa valise ce qui ressemble à un uniforme de l‘armée britannique et aussi un casque de policier (bobby). C‘est sa panoplie. Puis, il me parle de sa vocation : comment il a découvert la danse à l‘université, etc. Lorsque je lui dis que ça ne doit pas être facile d‘afficher son homosexualité, il répond, avec un clin d’oeil, qu’il sait « passer entre les mailles du filet », puis me tend sa carte de visite comportant la mention « performer artist » imprimée sous son nom, juste pour le cas où j’aurais besoin d’un officier de sa gracieuse majesté.

Dans le wagon-restaurant, je discute des récentes élections avec un groupe de jeunes. Une des filles déclare qu’elle soutient le régime et n’accepte aucune critique. Son frère est plus réservé. A un moment, il prend son courage à deux mains pour dire que, tout de même, lorsqu’au moment de l’annonce des résultats, en décembre, il est allé à Minsk, il a vu des femmes et des enfants qui criaient « fout le camp », avant d’être arrêtés par la police. Mais il se fait aussitôt rappeler à l’ordre par sa sœur, qui le fustige du regard.

J‘apprends que le secrétaire d‘un candidat de l‘opposition a été retrouvé pendu et que l’enquête officielle a conclu au suicide… Tout ce qu’on peut dire est que si le lieutenant Colombo avait été consulté dans cette affaire, il aurait posé certaines questions embarrassantes, notamment au sujet des ecchymoses présentes sur le corps du « pendu ».

Le Père-Président a donc été réélu, pour la troisième fois, juste en-dessous de la barre des 80 %, ce qui est sportif de sa part. La Commission électorale a eu la bonté d‘accorder 2,43 % des votes à son challenger, qui sera tout de même emprisonné, par mesure de précaution. Des milliers de manifestants se sont rassemblés à l’annonce des résultats, dans le centre de Minsk, et la police anti-émeute est aussitôt intervenue en incarcérant plusieurs centaines de personnes, dont sept des dix candidats qui s‘étaient présentés aux élections. Mais aujourd’hui les relations du Belarus avec le monde occidental se sont améliorées et les sanctions ont été suspendues, en raison d’un relâchement des persécutions à l’égard de l’opposition et aussi de la position pro-ukrainienne de Minsk dans la crise actuelle qui oppose la Russie et l’Ukraine.

Notes :

(1) Andrew Wilson, Belarus : the last dictatorship in Europe (New Haven: Yale University Press, 2011).

(2) Dans le film Jackie Brown.

(3) Max Weber, Economie et société, publié en allemand en 1922 : Wirtschaft und Gesellschaft. Weber montre que le charisme repose sur la croyance dans une relation sociale. Le chef charismatique est considéré par le « peuple » comme un personnage doté de pouvoirs exceptionnels, confirmés par ses actes ou par des phénomènes. Il est souvent présenté comme un magicien (ou un chaman). Le charisme entre, par la suite, dans un processus de routinisation, comme c’est justement le cas au Belarus. Weber explique aussi que la sujétion des dominés vis-à-vis du chef charismatique est obtenue par trois facteurs : l’intérêt, l’habitude ou la crainte. C’est aussi le cas au Belarus.

The Fathers’ Factory (in Belarus):

On my return to France, I receive an e-mail from Belarus, which was manifestly translated with the help of Google. I liked the imagery of the language, which reminded me of a surrealist poem:

“Hello, Fredrik, everything is fine I’m going to steam. The family too well. I rarely see them. You of course good comrade-???? You have visited! When you arrive in Belarus call give. I’ll be happy to your bell. To us snow the first, but thawed in fast. T next to -1.”

I especially like the: I’ll be happy to your bell, which probably means: I’d be happy if you phone me. A nice guy, this Artyom. He‘s a professional sportsman who offered to show me how to water ski, if I return to Belarus (as I intend to). His note makes me dig out the transcript of my Journal from Belarus (2010-notebook 11 x 17, 96 pages, dark orange). It begins with a laborious, but affectionate, „poem“ for Vladimir (aka Valodia), a colorful character whom I met in the small town of Ushatshi, and with whom I drank a few glasses of vodka. It was minus twenty-seven below zero, shortly before Christmas:

Even Winter my friend

Will not tarnish your smile

On the white plains of Ushatshi

We met at dawn

All powdered with flakes

Under the Ark of your name

 

Valodia! Unshaken by vodka

White snow shall not erase

Our wet memories

Nor the blood of the fallen

To me, the poem sounds better in English than in the French original. This is not always a good sign. I hold it in some affection, however, as this is the first “poem” I have ever published. Frankly, it is also probably the last. All suggestions to improve my magnus (et unius) opus are welcome.

In a polling station of the city of X (7237 inhabitants):

December 10th, 2010. The President of the Commission is a teacher who supervises the local education system with an iron fist. As elsewhere, schools are a model of society, which in the case of Belarus means that they are laboratories in which credit and blame are liberally and universally dissipated without fear or favour, or specific responsibility. “Oh yes,” says the smiling middle-aged teacher with a very shiny red lipstick which matches her nail varnish, the majority of voters will come around noon, you’ll see! There will be food and also hot coffee. We’ve prepared certificates to congratulate our young ones too, those who’ll choose their president for the first time. They’ve just become of age, you understand… We’ve got to encourage them, surely! As we…“

Suddenly, she rushes into the hall like a fury to chase a woman wearing a headscarf, who was busy pinning a poster on a wall. She returned, artificial and natural reds mingling; “I suffer much from this inflexibility in the exercise of my duties, you know, but excuse me! : Duty above all. No poster within a radius of two hundred meters of polling stations! I’m not the one saying it. It’s the law. ” I’m fairly sure that the scene was rehearsed.

Shortly thereafter, the Deputy mayor, a man with a glowing face, proudly announces that a new ice skating rink – of Olympic size – will soon be built in the city. The rinks are the passion of the Father-President, Alexandre Lukashenko, himself a good hockey player. The deputy mayor adds that an European MP recently paid them a visit and praised the country’s political choices. The human development index is one of the best in the world. Donald Trump spent a good part of The Art of the Deal, I recall, explaining how he had helped to redevelop the New York City Ice Rink. Alpha males clearly like the idea of clashes on ice—it must be a throwback to the near destruction of humanity in the last ice age.

I explain that I learned Russian by watching subtitled Soviet musicals. Hearing this, the deputy mayor opens his eyes wide as if he had just spotted an alien playing the bagpipe and, from an access of comradeship, throws himself at me, hugs me and begins to tell an anecdote. He has been drinking a little vodka, which is understandable, as everything else freezes in the streets.

“Well, one night, our Bat’ka – this is the nickname given to our President, you see, Alexandre Grigoryevich Lukashenko, and that means father in our language – well, he wakes up in the middle of the night because he feels suddenly very hungry… you understand?… Come on! Tell me who doesn’t get up in the middle of the night to break the crust, once in a while?… See what I mean?… hmm… my dear… hum… Fyodor?… Okay, so his stomach starts growling… Brrrr, not pleasant, if you ask me… And so, our President, he goes to the kitchen… The story takes place in his datcha, you understand… Everyone is sleeping, of course… So, when he arrives in the kitchen, he opens the fridge with an abrupt gesture, our Bat’ka… Must say he is not very well awake, as you can imagine… this hour of night… badly slept and everything… the worries of the State on his shoulders… And, besides, one of those hungers! We know what it is, believe me!… And so, he opens the fridge with a sudden gesture, as I said, and the jelly meat – a specialty of ours, called Rolodietz – well, it starts to shake, in a saucer, right in the middle of the fridge, since he opened the door abruptly, as I said… So, our president, what does it remind him of? Humm?… Guess what?… Hey?… No?… Well, his advisors, of course! That’s what it reminds him of!… All shaky and white… who else would you like him to be reminded of by that shaky jelly meat?… May I ask, huh?… His advisors, his courtisans, if you prefer. Just like when he gets angry, at times, in front of them. So what?! You’ve got to!… How you want to run a country without getting angry sometimes… hey? Isn’t it, my dear… Fyodor?… Right, well… seeing this, our Bat’ka, he smiles, magnanimous, and you want to know what he tells the jelly meat? Hmm?… Guess what?… No? He says: Stop shaking, I’m just here for the ketchup! »

Having said that, the deputy mayor bursts of laughter, Falstaffian, holding his paunch with one hand and crushing my arm with the other, as if he would crumble on the floor without my fraternal help. I confess that I accompany him gladly in his hilarity, as this anecdote illustrates to perfection the reputation of the country’s chief executive.

Snow for eternity:

Minsk, the capital of Belarus, is a very clean city, with grid-lined streets. Razed to the ground by Nazi troops in 1941, it was completely rebuilt after the war and did not steal its title of “Heroic City” which was awarded by the Soviet Union.

We drive on the snow, without a sound, on the Great Northern Road, in the early morning, towards Polotsk. Polotsk was the city of Yousiaslav, the Prince-sorcerer. Through the frosted windows, I look at the brown and ochre of the ferns, burnt by frost, looking like tobacco. In the surrounding woods, the bare trees project their shadow theatre. As in a waking dream, the wooden isbas ressemble gingerbread houses, with their colorful windows of red, yellow or blue, and I wonder how many Hansels & Gretels of modern times managed to survive their inhabitants. Everywhere, the snow covers the fields with a powdery duvet, as if a shipment of cotton bales had fallen from large trucks during the night. Everything is bright, clean and fresh.

Resting under its roof made heavy by the snow, a house smokes, surrounded by endless uneven planks. The blue whitewash around the windows adds a cold note to what is already a frozen time, in the crystalline air where the sounds carry to infinity. The slightest movement can be spotted for miles, making it difficult to hide. Easy hunting Party for the Commandos which came, in the winter of 1941, to exterminate a quarter of the population. One of the Nazis’ methods was to shove the entire population of a village into a barn and set it on fire. More economical than a bullet in the neck and money, after all, is an age-old technique of war.

Hot Earl Grey tea smokes in cardboard mugs at all night petrol stations, lemon slices floating on the surface. We sip as though that caution conserves the heat of the heavenly beverage. Our soles squeak on a pavement covered with thin slabs of ice, which resemble transparent and flaky biscotti. Air bubbles are set free beneath us with a soft cracking as our weight cracks them.

The women wear high heels and smoke slender cigarettes held by pianist fingers. Generous fur collars frame their faces, radiating freshness, in the clean air of the early hours of the morning. The light reflected by the snowy soil highlights the lipsticks, matching varnishes to perfection, as always here.

Dreams:

Exhausted, I doze for a while in the back of the car. Memories of my visit to the Belarusian Embassy raise to the surface. The stiffness of protocol, the grand staircase of the mansion on the Boulevard Suchet. His Excellency seated in his great office. Massive body. An incisive look. A ring set with a diamond on the right hand. He talks about the history of his country. As a four-star general, he used to command a division of tanks, “just like your de Gaulle“… says he. „We made great efforts to build peace in Europe, you know. Very big efforts. More than any other country, we shed our blood during the war, which razed our cities. You will see this, our scars… Whole villages burned by the Sonderkommandos. More than two million victims. And then, after the war, we voluntarily disposed of our nuclear weapons and handed over our missiles and most of our tanks to Russia. In addition, today we control, for the benefit of Europe, more than 1300 kilometers of borders, helping to reduce trafficking and movements of fundamentalists. But does this appear at all in Western media? Can I ask you this question? »

It is true that we do not hear much about Belarus, except at election time: just a few words on fraud and one or two anecdotes about the President-in-Office, who likes ice hockey and telling jokes : Alexandre Lukashenko. Some ill-informed reporting presents him as a psychopath from whom even the Kremlin turns its back. A very simplistic portrait. Fortunately, there is Andrew Wilson’s excellent book.[1]

“We are a nation of the working class. Self-made men and women, without natural resources or access to the sea“, says the ambassador. „You have to understand that.“ Even Illinois, which his observations remind me of—they make me think of Chicago at a certain time– has the Great Lake shore. Then he comes to the sensitive subject of the forthcoming elections: “well… let’s admit that there are very few political parties in our country. They are, in fact, very small (he makes a gesture of thumb and forefinger, as if holding a piece of sugar). And what does the opposition propose?… May I ask?… Huh?… To change everything!… But I ask this question: should we throw everything in the trash?… Is everything that has been done in our country that bad?… and to replace it with what, can you tell me?… Go on, ask them these questions, to the opposition people, and you will see… They don’t even know what they’re talking about!… You’ll see!… There is a great effort to offer elections that comply with international rules. »

The President-in-Office does not miss any opportunity to make jokes about the short-lived opposition leaders, whom he readily calls Pan, the equivalent of Sir in Polish, indicating that they are stooges sold to foreign powers.

Walking me back to the front door, the young and dashing first Secretary offers me a discount card for a casino in Minsk, after having scribbled the number in a notebook in case I use it, and then declares, shaking my hand: “You will appreciate the nightlife“. Meanwhile his assistant, a dazzling redhead looking not unlike the actress Ilia Krichtoul, straightens a load of peonies in a vase, cracking the leather of her high heeled shoes. If I were English, I may have been tempted to note how far a couple of extra vowels go to uphold proprieties.

The Cursed Dacha:

I wake up with a start in the backseat of the car, as if the pretty secretary had just crushed my hand with the tip of her heel. Not a sound, except the purring of the car in the night. The snowy landscape continues to parade behind the screen of the icy windows. The forest is everywhere. Belarus is a country that has remained very wooded. Forests still cover a third of the territory. The European plain is in part shielded from Siberian winds by this forest, I muse. I realize all of a sudden that I forgot to mention the “cursed Dacha” to the ambassador. I wish I could go to that place.

The dacha is located in what remains of the primary forest that once covered this part of the European continent. The word “white” (biela) will often appear in this narrative. For a start, it is in the name of the country, Belarus, i.e. the “White Russia”, but also in that of its largest forest, which the country shares with Poland: The Forest of the White Tower-Biélovejskaya Pucha. The international border runs through the centre and hikers of both countries can cross it at checkpoints that mark its path. This name of Biélovejskaya Pucha comes from the Polish – Bialowieeza – which designates a white-coloured hunting manor, built by a fourteenth-century king who had taken refuge there to escape the plague.

However, during the winter of 1991, when the leaders of Russia, Ukraine and Belarus gathered in that dacha, it was to escape the more dangerous scourge of civil war and its associated atrocities. That winter, the republics that composed the moribund Soviet Union were threathened by a chaos of the same magnitude as the one that had just erupted in Yugoslavia. At least, that was what many feared; it was in that forest datcha built in the style of Soviet realism and dedicated to the hunting parties of apparatchiks, that the death certificate of the Soviet Union was signed, on 8 December 1991 at the same time as the Confederation of Independent States was born.

Signing this death certificate was anything but pleasant and the Russian Boris Yeltsin probably felt a pinch in the heart when he wrote his name on the document, called the Belavezha agreement. As the story goes, however, Anouchka had already bought the sunflower oil…

It is said that the Russian leader had not resisted the temptation to pass the vodka chalice and that he had almost broken his neck by falling down the dacha staircase. It appears also that the original manuscript of this Belavezha agreement has recently disappeared from the archives… Since then, this dacha of the White Tower Forest is considered cursed by the many nostalgics of the empire. It is a place where empires and presidents fall.

Ironically, the word dacha has a root – dat – meaning “to give”, as the land on which these typical houses of Russian peasants were built had been granted to them by the Tsar, before the Bolshevik revolution. But today, the only thing many of the former citizens of the Soviet Empire remember having received on that day is a stab in the back.

The cursed dacha has a rectangular shape and a monumental entrance, supported by high pillars at right angles. It is one of those official residences that inspired Enki Bilal and it is said that animals were attached to the trees that surrounded it, in the time of Brezhnev, so that the bushy browed First Secretary could have a chance to overcome his trembling aim and feel like a proper killer.

Today, the most numerous buffalo population in Europe lives in the forest of the White Tower. The animal became a symbol of the region and was re-introduced in 1929. It is not known how many were devoured by starving German soldiers or the unfortunate civilians who fled them, hiding in the woods. There are also groups of semi-wild horses, called koniks – from the Polish kon which means “horse”, as well as pygmy owls, the smallest in Europe, dark red and brown.

The Sorcerer of Polotsk:

According to a legend, the master of Polotsk in the 11th century, Prince Yusiaslav -nicknamed the Sorcerer – had the power to fly into the air, night and day. Today it is a brand of vodka: Yousiaslava. Another way to fly.

In the city center, it is minus twenty-seven, but the sun is shining and the snow has stopped falling. The red Santa Claus of the Coca Cola truck is at home in the snowy landscape, but the season calls more for the warm amber beverage of samovars than the cold detergent in aluminium cans.

Snowflakes powder the furs and the long hair of women strolling the sidewalks, their high heels piercing the ice layer like spikes on mountaineers shoes. They seem as comfortable as if they were walking down the Nevsky prospect on a spring evening. I sense that nothing in the world would slow them down.

In a park, a cross-country skier slides as if he was on rails and disappears on the other side of a small dark wood. Dressed in Belarusian red and green, he revolves around the wood like a satellite in orbit, his two carbon sticks erected behind him like antennas on a sputnik in the cold of space.

At a dairy plant:

Like all plant managers, the director is currently in Minsk, attending the Father-President’s speech. A woman in charge of public relations shows me the factory. In a showcase in the meeting room, a small bust of Karl Marx adjoins three icons and a book on the Great Patriotic War.

An employee’s monthly salary is one million Belarusian rubles (about 60 euros). A polling station is already installed in a room and more than a thousand employees are registered on the list. I am told that no one is forced to vote: “You understand, it is the Slavic mentality not to follow any orders.”

These will be the first elections that will take place in winter (perhaps to discourage demonstrations.) “But no worries“, says the lady with permanent hair, „voters will come, despite the cold. We’re going to organize gigs. There will be good food. It’s a celebration for us, you know. And these opposition parties… I ask you! We don’t understand anything about what they want… Don’t you think? Always ready to criticize everything… And to propose what?… No, sir, we do not trust these people… really we do not trust them at all. »

The partisans:

The majestic monument for War Heroes rises on a hill outside the town of Ouchatchi, covered with snow. The names of the dead are embossed on metal plates that are not eaten by frost. We drive quietly on snow innocently yellowed by headlights, between two rows of ghostly trees. We follow the red eyes of the Skoda which guides us to the Museum of the Great Patriotic War. The tall metal doors are opened by a municipal employee who probably was pulled out of his bed by this impromptu visit. The temperature is going down and the breaths crystallize.

The vast halls of the museum retrace the hell of the years 1941-1944 and soon everyone has tears in their eyes. Appalling photographs, documentaries filmed by Nazis to illustrate their perfectly assumed exactions. Difficult to talk about European partnership after that… And all this killing for what? For the simple reason that the Führer was feeling cramped in Germany, despite the annexation of Poland and the elimination of the “useless” part of its population, which had made a little space. But not enough… Germany had an urgent need for open spaces. So Operation Barbarossa was launched, in June. Another Blitzkrieg with no less than four million German soldiers, joined by Italians, among others. The Duce, another psychopath, was chomping at the bit since he failed to invade the south of France, a few months earlier, despite Germany‘s help and the debacle of the French army, combined with the notorious incompetence of the high command in Paris. In short, he had only one hurry, the Duce: to patch things up with a good slaughter of Slavic people, after having joyfully gassed the Ethiopians. What the hell! Italy was also entitled to colonies and a graveyard for its black shirts and its glorious youth.

This joyous iron-clad band of brothers quickly reached the Beresina River. This was the same one Napoleon‘s army had crossed during the retreat from Russia. Three dreadful years of occupation had followed. The horror lasted until the liberation of the country by the Red Army, in 1944. A quarter of the population was eliminated. More than two million people, including half a million Jews. Slavs were very badly off on the Berlin stock exchange and were placed very low on the human scale, much lower than the Gaul, for example, and – to make it short – considered inferior beings: “Untermensch“.

So they finally got their living space, but did not keep it for long. Stalin who, shortly before, was sending Happy New Year cards to the Führer, had finally decided to cut the bridges, saying: “OK. They want a war of extermination? We’ll give them a war of extermination.“ And he kept his word. The day it entered Belarus to invade Russia, Hitlerism had signed its ruin, just like Bonapartism, a century earlier, even though one cannot compare Napoleon – who is still respected in Russia – with Nazi hordes.

An occupation was thus set up in Belarus, with collaborators on one side and partisans on the other. But this was no France. Nothing that resembled the Vichy regime. It was not in Minsk, that was erased from the map, that German officers could drink champagne and watch Folies, or the imitators of the Moulin Rouge. There was no brave Maréchal to play the Saviour, while sipping wine at the Hotel du Parc.

The cooperation of part of the population with Germans is easily understood, if one remembers that, after the Bolshevik Revolution, the Soviet Special Forces (NKVD) had massacred many Belarusians, especially the elites, so that a resentment existed before the Germans arrived. Nazis found and trained collaborators – while scorning them – in the same way that German propaganda had exploited the anglophobia of a section of the French population to destroy the alliance Between Paris and London at the beginning of the war.

Those who resisted became, after the war, the absolute reference in Belarus. For example, the young Masha Bruskina and her ten companions, who were the first to be hanged in public. In the beginning, these groups called “seed units“ were sorely lacking in support. Knowing what would become of them in the event of capture by the SS – most officers sent on the Eastern Front were psychopaths – these courageous people began to sabotage the communications of the Axis soldiers. In retaliation, Berlin dispatched its Sonderkommandos, ultra-violent militias who probably inspired the writer Frank Herbert for his Sardokars in the Dune saga.

And then came Stalingrad. The resistance saw its troops growing and entire regions of Belarus were administered by it. The partisan movement became the largest in eastern Europe, controlling 30% of the territory. It is this hard fight that Theodore Odrach’s Wave of Terror illuminates. Finally, Bagration. This operation, bearing the name of a Georgian general who had put himself in the service of the Tsar to fight Napoleon’s troops, swept two million Germans from the Belarusian earth and made D-Day possible.

Pope culture:

Pretty Orthodox crosses punctuate the roads in the vicinity of monastries. Priests (popes) seem more hospitable than their Russian and Georgian counterparts. I noticed less “monky” business here, compared to Georgia, where the “pope” culture is in full swing. Political and financial stakes are not the same though. Presidential and ecclesiastical bureaucracies get along well and it is rare for a chapel feud to spend its own money. As for the leaders of the two sides of the Great Schism – Orthodox and Catholic – they administrate their flocks without resorting to the permanent intrigues that are going on in neighboring countries. At least, they were doing so when I was there.

Orthodox churches are even more beautiful in winter when the snow covers their blue-night domes enhanced with golden stars. They look like pastries sprinkled with icing sugar. Inside, women in shawls light long candles, whispering prayers in front of icons. Catholic churches are rather common, in comparison, except those which, built in red brick, glow like coral in a frozen ocean.

The country’s Father-President, a Prince of paradox like Father Brown, defined himself as an “Orthodox atheist”. This oxymoron is not as absurd as one might think. Stalin was also one, after having passed, in his youth, through the hands of the seminar directors of Tbilisi. Lukashenko also said that being Belarusian was: being Russian, but of better quality and he spoke of Minsk as the “fourth Rome”, in reference to the prophecy of the monk Philotheus which was addressed to the great Prince of Moscow in a letter of the year 1510: Two Romes have fallen. The third, Moscow, is standing. And there will be no other. Well, it seems that there is another one, my dear Philotheus… A fourth Rome, and it is Minsk. At least, that’s what Sacha (diminutive of Alexander) says… According to him, Moscow is now in full decline, while Minsk has managed to preserve the true Slavic and socialist values.

The day Gagarin said “YES”:

The red of the rosehip is without rival. In the poorest villages, elders live in hovels whose roofs threaten to collapse under the weight of the snow. The townspeople are better off. In a city centre, a gigantic concrete bas-relief commemorates the memorable day of April 12, 1961. That year, a Russian had gone into space and came back.

One of my favorite scenes: It’s a spring day. The first acknowledged cosmonaut in history, Yuri Gagarin, comes down to Earth aboard his small metal onion, the Vostok (East). Carried by the winds, he lands in a field of the Saratov region, where a peasant and her daughter are looking after a calf lying on the grass. One can just try to imagine their dread when the space pioneer lifted his helmet‘s visor and told them: “Fear nothing! I am one of your men! A comrade! “, and then asked them if, by any chance, there was a phone in the neighborhood, so that he could inform Moscow… as no one knew where he had landed. And when the poor woman, blushing, recovered enough courage to ask him if he really had come down from the sky, Yuri simply said: “Yes”.

The Cult of Heroes:

The best pupils are displayed on school walls next to sport champions. A good way to encourage emulation. Barely fifteen years old, yet already clad in medals. They are reminiscent of Army Corps generals, yet without what Americans call full metal chests. The images plait the patriotic fiber and stress that everyone must work to improve the group, according to a healthy, pseudo-Spartan maxim. Here is another maxim, painted in red on the front of a municipal administration: Whoever wants to, finds a way; Whoever doesn’t want to, finds an excuse. Two officials sporting huge chapkas exchange a fraternal greeting. On the third floor are the brown padded doors of the Prokuratur offices, looking like the gates of Mordor. Two things are sure: the less you open the doors, the better you are, and it is sometimes better to find an excuse. Except for the Ring-bearer, of course.

The new alchemists:

Formerly, Prince Yusiaslav ruled this good city of Polotsk with an iron hand, having learned through alchemy to master a variety of bichromatic magical activities. Today, the wizard-prince is dead, but the alchemists are well established. The tall chimneys of the Naftan refinery smoke on the outskirts of the city. Naftan is also the name of the football team that plays in the first division and this name is well chosen, since “naft” means “oil” in Russian. Cigar-shaped propane tanks and butane spheres resembling soccer balls show on the horizon. Long scarves of white smoke mingle with gray-anthracite clouds until they vanish into the sky in diaphanous fringes.

It is one of the largest refineries in the world and one of the largest employers in the country. It occupies several hundred hectares and sells all kinds of petroleum products, in the gaseous, liquid or solid states. In its factories and laboratories, several thousand workers transform crude oil into all kinds of derivatives indispensable to the great machinery of our lives.

Fossil energy, dependence, pollution … The slow transition to so-called “clean energy” is not on the agenda. How to do otherwise? Here, only imported crude is refined because Belarus has no natural resources. The stockyard is impressive: floating lids descending or rising depending on the level of the liquid. Large pipelines run along the road, importing oil from Russia. A poster announces: Naftan: a cutting-edge technology for our lives!

Recurring tensions with the Russian neighbor are often linked to the oil issue. The day the Belarusian President changed his mind about opening his market to Russian capital, the Kremlin responded by raising the price of oil and started supporting opposition parties. The response was not long in coming, the dispute short-lived. Russian “technicians” suspected of collision with anti-regime movements were expelled.

Boris is a team leader dressed in petrol blue. A pétanque enthusiast since his cousin, who married a Toulonnaise, offered him four Obut balls, “The best French brand, isn’t it!” declares Boris with pride. He has been working in the refinery for seventeen years, and his eldest son will join him after completing his chemistry studies.

We sip hot black Earl Grey tea in a large meeting room looking at the framed photographs on the walls, including those of the football team. Here too, on a shelf, a bust of Karl Marx stands next to three icons and a hardcover book on the Great Patriotic War.

Boris knows his refinery on his fingertips. A family story. His father was among the pioneers: “the construction began in 1958 and five years later we released our first barrel. Today, the fate of thousands of families is tied to Naftan. And we vote in the elections to make it last. “

The staff is pampered by the Workers council. “We work together, as a family,” he explains. There is a recreation center for children with a name reminiscent of Soviet space prowess, as well as a summer camp on Lake Yakovtsy. And of course, an ice hockey team.

Boris loves and respects his work, which is a pleasure to see : “The top of the barrel, as we say, is the lightest oil derivatives, those which sell the most. Our goal is to get the maximum out of the two champions: petrol for cars and kerosene for airplanes. Without those two, you wouldn’t be here in front of me today, right? And I bet that we refined the kero that was in the tanks of the Boeing you flew in!“ I assure him that I would be honored and he carries on: “Well, basically, that’s how we do it… You’ll see, it’s teamwork, just like hockey, or pétanque, if you prefer. We can do nothing without the others. It is a chain, and each link is preceded and followed by another (he makes the gesture with the fingers). If one of them lets go, bang! Everything falls to the ground and we’ve got to repair it. But, as we say here, prevention is better than therapy. “

“So we stick together. Everyone here works for his family, his country. First, we eliminate the impurities in the crude coming from abroad, especially sulfur and salt, because these two are just catastrophic, believe me!… So corrosive!… Not good at all for the engines … Well, you know, crude is a mixture of more than a hundred elements. It goes from the lightest, like methane gas, to the heavier, bitumen, thanks to which you drive your Aston Martins on the highway… I’m jocking!… Well, fair enough, it’s OK with me if you got one! But, let’s resume… These elements, you see, they must be separated: this is called refining. Us, we are like the Scots, in a way… except that our Loch Ness monster, if you want my opinion, it is invisible… and comes straight from Chernobyl … if you see what I mean … But forget it… it’s better not to talk about that, if you want to keep your spirits up… “

I refrain from diverting the conversation on the question of the Chernobyl nuclear disaster, a subject that has remained taboo in the country. In fact, in 1986, about 70% of the radioactive deposits from this Ukrainian nuclear plant fell on Belarusian territory, due to the direction of the prevailing winds at the time of the disaster. Since then, the regime in place is acting as if everything was fine and the radiation had disappeared as if by magic. There are other fish to fry, with oil if not radiation.

“Here, continues Boris, we distill. It’s like you guys in Calvados!… That is… the elements are separated according to their boiling temperature. Like the whiskey you’ll sip tonight. At least I hope you will. Well, not more complicated: we go from heaviness to lightness: the crude oil heats up in a distillation column and the light components, they rise to the upper part, you see… while the heaviest, they fall into the background. A bit like in life, no ? C’est la vie…”

Boris shows me the scheme of a distillation column on the wall. We observe that above, the liquefied gases are collected, then, one stage below, the kerosene, and further down, we find the gasoline, and finally, at the bottom of the column, the bitumen, heavier and viscous.

“We are proud of our kerosene, he says. Of course, it must not freeze. Got to be able to withstand a temperature of about minus forty degrees. This is what you need if you want to use it in airplanes. Otherwise… Well, it’s not very pretty… especially with a Boeing of three hundred passengers… Well, ours is guaranteed antifreeze at minus 43. And it‘s selling very well.”

Fluids mechanics – Welcome to the machine:

Good guy, this Boris. One cannot blame him for polluting the planet. The best bitumen crudes are heavier than others and come mainly from Venezuela and the Middle East.

Given that the viscosity of a body is its ability to resist a force that tries to move it, one can say that the Belarusian society is endowed with an exceptional viscosity. It is, in a way, one of its qualities. It prevents it from getting washed away by global crises and stock market cracks. Unfortunately, it is the consequence of political lockdowns and a protectionism fully assumed by the authorities.

The Naftan refinery also produces lubricants: oils and greases, for which additives are used, to improve their performance. Such lubricants are essential to our societies, because they reduce friction and thus prevent the wear of our machines.

Reducing friction is also the main activity of the presidential administration. That’s all there is in politics: manipulating frictions or reducing them. In Belarus, the presidential administration makes sure that the machines composing society are oiled properly in order to prevent them from breaking down.

The political and social machine operates through three main components. First, fuel, which provides energy and sacrifices itself on the altar of the Common Good. This fuel is the people, of course, those who produce. Then come the lubricants, which ensure that the different parts of the machine do not wear by rubbing against each other, which could cause worse than wear: the system breakdown. These lubricants (oils and fats) are, if one pursues the metaphor, wages, great patriotic masses, and especially television. In short, all that prevents, lessens or heals the tension, irritation, revolt or depression. Add the supply of water and gas to all floors and, of course, vodka and sausage at affordable prices. Powerful lubricants, vodka and sausage!

Then come the metal components of the Big Gear: the in-racks and the piston. In the social machine, these pieces are the security forces (police, army, intelligence) and institutions. They are responsible for constraining, pushing, giving momentum, pace, but also slowing down society when necessary. This group includes large state-owned enterprises, universities, schools and hospitals, where every one is indexed, monitored and accompanied, even in his spare time.

This is all the more true at election time, when the machine overheats, where the risk of accident or breakdown is at its highest. This is a period when you have to prepare stocks, spare parts, and know how to manage them skilfully, which is the role of the presidential administration. During this period, it needs additional quantities: more lubricants for the maintenance of the parts. And above all, more control.

This is the period when the people receive gifts. Part of the promised roads are built, rallies are organized, free festivals are held as long as voters fulfill their civic duty. Television is also in full swing and it’s the season of patriotic talk shows, with their songs, anthems and musicals contributing to strengthen the social bond.

No, one cannot blame Boris for polluting the planet. He offers me a cigarette that I smoke at his side, in a courtyard, discussing air quality around the plant. All in all, smoking one box a day won’t make much of a difference, given the air you breathe here. Having a little experience of nuclear plants, I do not hide my doubts to Boris about the tests – “effective and complete” – which are announced on the website of the refinery … Who performs these tests? The refinery‘s laboratory. Who are they sent to? Our ministry of tutelage…

Not to mention the water, because refining involves consuming and rejecting a lot of water… As in all countries, no omelette without breaking eggs. Today, Naftan is not only a refinery but also a chemical plant. Pollution is chronic, although efforts are made to control it. There are all kinds of measures and protocols to protect personnel from inhaling and absorbing toxic products, because the evaporation of benzene, for example, can cause cancer and some products are mutagenic. The effluents also contain ammonia, phenols, and cyanide. But one cannot spend his time controlling everything… some things must be left to Mother Nature.

At a dinner with „consultants“:

Back in Minsk, in a restaurant for bohemians (new rich). Affordable prices though. On the menu: beef served with cranberries and mashed potatoes in a wine sauce. And pepper vodka. A multi-ethnic dinner: a young Moldovan is interested in the history of the Cathars, while a pretty Kyrgyz with a delicate face, like a china doll, complains of the contempt displayed by some members of her team of jurists for the Kyrgyz people, a “backward” population, according to them. This criticism is probably linked to the recent violence in southern Kyrgyzstan (see the text on Kyrgyzstan on this website) during which Uzbek families were massacred. A German diplomat was particularly rude: “look back at what Nazi Germany did here, in Belarus, not so long ago… he‘s poorly placed to give lessons,” comments the pretty jurist.

Some people go so far as to say that the Belarusian President played a role in the ethnic violence in Kyrgyzstan last June, but it is unlikely. What is certain is that he offered asylum to the Kyrgyz president, forced to flee his country (see the section on Kyrgyzstan on the website).

Private consultant Piotr, travelling for “personal affairs”:

Piotr is one of the Polish consultants who analyze the political life of their Belarusian neighbor. He has nothing in common, unfortunately, with the consultant who appears in the novel The Master and Margarita, a man called Woland. It’s a pity, because it is precisely a guy of Woland’s temper that we would need here, and elsewhere (especially in France). But let’s move on… Piotr has been in Minsk since the day before yesterday.

He has a broad forehead and sports a goatee beard in Lenin fashion – a character he exerts powerfully. He copies, in his gestures, poses borrowed from American series. What motivates him the most is the manufacture of elections.

He started out in an NGO at the time of the revolt that brought down the Milosevic regime in Serbia. With this experience, he went on to train the Georgians to the methods of the smooth reversal of power which led to the Rose Revolution, in 2003. Strangely, he did not go afterwards to Ukraine, to participate in the Orange Revolution, although it offered an even bigger playground. Still, here he is today, in Belarus, but does not hide his concerns: “This time it’s different. The regime is ready for everything. I fear the worst.”

His father was a nationalist with anti-Soviet inclinations and Piotr has a revenge to take on the Kremlin. He met his idol, Zbigniew Brzezinski, in Washington and visited the offices of the NED, the structure that manages US assistance to democratization in the world. The export of the American democratic model has become a flourishing business.

“This is called outreach … Is there an equivalent word in French?“ asks Piotr.

“Hmm … sensibilisation, I believe. “

“Yes, that’s it, but it goes further; it’s not enough to raise awareness, we got to explain how to change things. Not just give directions, even if, at the end of the day, we offer a do it yourself kit, with an after-sales service… But here, wow!!!! it’ll be hot, man!! Mind my words… the powers that be, they‘ve seen the two color revolutions in the neighborhood countries and they’re ready… They know what to do… We won‘t have no surprise effect, this time man!… Nope! And, to make things worse, the government just passed a bill that punishes the fact, for an NGO, to receive money from abroad. Shit man!… that‘s cutting the grass under our feet!… (He makes the gesture) Not to mention the Penal Code, good Lord!… Just been amended to punish those who are considered “conspirators”, or “agents from abroad”… Well, basically, all those who work with us… Same thing in Russia, by the way… The Kremlin, it copies a lot of stuff they‘re watching here… (lowering his voice) Besides, this city, man, it’s fucking full of spies… The guy over there, behind the bar – but do not turn over – well, he’s one example. First class spook… He’s been following me like a shadow since the day before yesterday. I don’t give a dam!… In fact, here, it‘s a kind of laboratory for the Russians. The old man, he’s been in power for much longer than his counterpart in the Kremlin… who – just for the record – cannot stomach him… Anyway, man… Power attracts psychotics… Fucking always… “

Piotr starts his third beer while continuing: “In short here, for democracy, it’s neither fragile nor emerging… it’s just … locked. Period! … And it’ll get worse, I’m telling you… For sure, they‘ll continue to play the game of elections, just for the gallery, doing as if they were competitive … Dammit! … In the end, the regime, it couldn’t care less about critics! They assume the fraud. They spend much less in electoral cosmetics than Russia, which has more interest to play the role of the good student … We hoped to overcome them with the tensions we helped to introduce in civil society, but it will not be enough … Tension is a powerful tool, but it will not be enough this time…”

He looks like a frontispiece for Burton’s Anatomy of Melancholy. “Remember… the Orange revolution… in Ukraine…. T‘was quite a shock seen from here… The regime, they immediately understood the danger. T‘was like 9/11 for the Yanks, a kind of wake up call… Remember how the old man threatened the opposition on TV: there will be no pink, orange or even banana revolution in Belarus… Great Formula! I must admit… And he kept his word. The old fox certainly did… Two of my buddies were put in custody… two Georgians… Did not stay long in jail, though, but still… »

He looks at his beer, reflecting as if he was alone : “Don’t understand why the Yanks, they didn’t do it with more discretion in Ukraine. Fuck!… There are more subtle ways… So, the old guard, they cling to power now… They‘ve got it… Can see the blow coming… It’s fucked up for sure!… Before, us Europeans, we were seen as potential partners, very different from the Yankees… We helped balancing things in the World… But since the Ukrainian president had to slip away because of a revolt orchestrated by Washington, everything has changed… Europe has become the enemy…“

I wonder why Piotr came to Minsk, this time… A woman, perhaps?… It is true that the President of Belarus is ready to stay in power at all cost and that he acquired the full panoply: deny of administrative registration for NGOs, control of their financing, fines, prohibition of gathering, harassment, threats, enforced disappearances, arbitrary detention and even killings.

A more recent method is to artificially create all kinds of NGOs to counteract those considered, sometimes rightly, as funded by Washington. These facade NGOs are multiplying like hotcakes and their “consultants” are sent to work with civil society and do internships abroad. To China, for example, which is selling its Internet monitoring technology to Belarusians.

 The Sorcerer’s Apprentice:

A few weeks later, in Polotsk, I meet, by chance, an alter ego of Piotr, but this time on the Belarusian side. His name is Dima (diminutive of Dimitri) and he is a sorcerer’s apprentice, also passionate about the manufacture of the elections. His idol is not Prince Yusiaslav, who used to fly over the city in Medieval times, but the consultant Gleb Pavlovski, a Russian-born election maker – or spin doctor – who often comes to Minsk.

While playing billiards, the young Dima – barely twenty-three and already a fan of black humor – tells me about a Russian documentary, The Godfather, which is a good example of pre-election manipulation. The film was commissioned by the Kremlin. It draws a critical and often grotesque portrait of the current president of Belarus. It may seem odd, coming from a neighboring and fraternal country, but relations between Minsk and Moscow have deteriorated, especially because of the oil issue.

This film is thus intended to put pressure on the Father-President: either you calm down or we’ll bring you down. Lukashenko is singled out as a emulator of Adolf Hitler, fully assuming his role as dictator and manipulator of elections. A very reductive portrait.

Dima has just read a detective novel taking place in Moscow, but he’s been left unsatisfied: “It speaks too little about elections… only scratches the surface. And nothing about Smirnov or Pavlovsky (two other spin doctors). I should write one myself…“ He intends to be recruited by one of Moscow’s best “consultant” agencies as soon as possible, in order to be part of the club: consultants, analysts, experts in dirty tricks. In short, those who pull the strings. He wants to have fun. “No need to kill the opponents,” he explains, with an amused expression in his very clear eyes, „you just need to know the techniques derived from the Game Theory.“ Like the Smirnov method (everything seems connected here, since Yusiaslav the sorcerer and Smirnov the spin doctor are also two famous brands of vodka.)

He illustrates what he means: “For example, you publish in the local press an advertisement for a lottery, with a question on politics and a big prize, like… a family cruise to Croatia. OK, then you ask the public to designate the candidate who will win the next election… Those who give the correct answer will win the prize, just after the announcement of the official results. And above all, you make sure to have published, just before, an opinion poll, always in the same local press, with the name of the candidate you want to see winning. “

“The… customer, in short …”

“Yes, the customer… It’s a phony survey, of course, but who cares?… “

” So what ?… What comes next? “

Dima smiles before continuing: “What comes next? Well, just what happened in Samara where this method was tested during local elections… Well, what happens is that the lotto players, they write the name of your client on their paper, for the simple reason that they all want to win the prize ! The car or the cruise, whatever… And it does not matter if they never intended to vote for this guy!… Now, he became their candidate, you see ?! He can count on their vote, on D-day. It’s in the bag! (or rather in the ballot box…) Well… after that, you just have to repeat the operation once or twice, with other prizes to win (a computer, a motorcycle…) and that’s it… Because, you see, what people want, everywhere and always, it’s a better life… They are not interested in the substance of the political debates if you focus their attention on the outcome of the lottery. “

In short, this quiet young man displays a self-assumed cynicism. No doubt he will manage to sell his services. He enjoys the films of Steven Seagal, a close friend of the regime, even if the martial arts are not really his cup of tea. After answering a phone call from his cousin, who studies foreign languages ​​in Moscow he resumes the conversation on the subject of open sources. His cousin is a hacker, a lonely artist who spends his time opening padlocked files on Internet. But Dima is satisfied with open sources: “just read what is available on the Internet and the whole kingdom opens to you… Almost all that is important is open source. For example, the Congress hearings which anyone can download. As long as you understand English, you can read everything the Americans intend to do. It’s like a court hearing, with parties doing everything they can to convince the judge. Nothing to do with Russia, where everything is kept secret.”

“Can you give an example? “

“Sure! Look at what NED say – the structure that monitors US aid to democratization around the world – in response to that senator’s letter… What’s his name?… Hmm, Senator Lugar, I think… Anyway, basically what they say is: no alternative to democracy. Interference has become an accepted norm in international law. So we can do what we want, where we want… The American model can be exported, and it must be. Period. Worldwide. Domestic markets must open. A Starbucks in every city… And get off our back with the Westphalian Treaties and the principle of non-interference in internal affairs. That‘s over… Today, it’s open doors, please. So what do we do?… We do as the Japanese, we copy the American… All their arsenal of soft power. When I say „we“ it’s in a broad sense, in Minsk, in Moscow, everywhere. That’s realpolitik… “

The Fathers factory:

If, in the eleventh century, the prince-sorcerer had the reputation of being able to fly into the air, a millennium later, the Father-President acquired the reputation to manage to be re-elected at each ballot, with a score almost unchanged. Another type of magic.

Imagine… Minsk, the large congress hall, the annual meeting of all heads of the administration. Hundreds of officials seating under the chandeliers to listen to Bat’ka. He is comfortably seated in front of them on a platform, behind a desk. He smiles. His mustache – of an intermediate style between Philippe Pétain and Joseph Stalin – stretches. Like them, Alexander Lukashenko plays the Good Family Father, guarantor of stability and good morals. Grey suit, like a real desk man, able to go through his twelve hours of work daily without flinching. All for the common good. Greatness and sacrifice. But why does he smile, in this vast meeting hall illuminated by chandeliers?

He smiles because he remembers … He remembers the good time spent on a television set a few weeks ago. A popular humorist had told an anecdote… And that is why the President smiles. And suddenly, wishing to revive this delightful moment, he bents over the desk and, choosing, among the hundreds of administrators present, a small and insignificant official, sitting modestly on the left side of the hall, he orders him to tell this anecdote to the others, that is to say, to the whole room, since most do not know the story.

The tiny bureaucrat gets up from his jump seat, shaking. He looks like a perfect paper pusher, a pure product of Belarusian bureaucracy. With a air reminiscent of the character of Berlioz in the novel Master and Margarita, he begins to stammer, pretends not to remember this anecdote well… Maybe he is not the best person to…

“Nonsense, Griegor Filipovich!” insists the Head of State, inflexible. Impossible to escape…

So, the poor penpusher screws his courage to the sticking place and finally admits, with a meritorious dedication:

“Oh yes, yes, uh … that’s it! Yes… it’s coming back now…” And there he starts, Griegor Filipovitch, wiping his forehead: “So, here, Hmm… It’s after a plane crash, uh… There are three survivors: Obama, Putin and… Lukashenko (laughs in the audience). Yes, all three find themselves in a tire-tick boat. They have… escaped from… death, but… now, one of them has to start rowing… (new burst of laughs in the great hall that make the brave Griegor Filipovich regain a little confidence). “So, Obama, he declares at once: but I am the leader of the greatest power in the world, so I’m not rowing!” (new laughs in the room). Well… and then, it’s Putin’s turn to refuse…he…”

But at this point in the story, Griegor Filipovitch starts to scratch his head, searching for his words and stammering: “Uh… Putin, he… he says, I … I’m … well … I …”, until the Father-President, magnanimous, comes to his rescue: “He says: I’ve got the nuclear weapon!“ And Griegor Filipovich can breathe again: “Oh yes, thank you, that’s it, absolutely! I have the nuclear weapon… he says, Putin. And so he does not wan’t to paddle either, it’s niet! (new laughs in the audience).

Then … our Lukashenko, well he says: „let’s organize a vote to decide between us“ (more laughters). And Obama and Putin, well, they accept… “

Once again, the narrator wipes the sweat from his forehead and then, clearing his throat, carries on, speaking faster: “So, soon after, we see that Obama and Putin are busy rowing, each holding a paddle with a sullen expression… And Obama, he whispers in Putin’s ear: Look, Valodia… Maybe you can explain something to me, because I confess I do not get it… There are only three of us in this boat, so how come Lukashenko, he got four votes?

At this moment, an immense burst of laughter reverberates in the Congress hall, shaking the chandeliers, while the main character of the story, the self-assumed Father-President, holds his ribs, having great fun.

This scene speaks for itself. One may wonder why the Lukashenko enjoys this story so much. The answer is easy to find. First, anecdotes of this type are very popular in every corner of the former Soviet Union. They are a way to break the taboos and free oneself, for a moment, from shackles that are sometimes heavy to wear, while not putting oneself in danger, since it is just a matter of telling a story, or of listening to one, a story that passes in all mouths, without having to give one‘s opinion on the subject.

Secondly, this anecdote flatters the President’s ego, as it shows him winning a battle over the two chiefs of the world’s largest powers, even if, for that, he has to compromise elections. Only the result counts.

Thirdly, he no longer has to hide behind a smokescreen, pretending to play the game of democracy, as at the beginning of his career. He takes full responsibility for fraud, even having fun with his “magic tricks”, like a shaman.

But the first time he was elected President, it was without any fraud. It was shortly after the independence of the country. Luka got not less than 80% of the votes. Subsequently, he ensured that this score was maintained. This is because symbolically, to agree to be reelected with a lower percentage – even 75% – a score a candidate can just dream of in Western democracy – would be to admit to have lost part of the voters – even if it is only 5 % – and we know well that once a foot is put on this slope, complete fall will follow, sooner or later.

The sorcerer of the ballot box:

The Father-President smoothly elides his frauds, knowing that no one is fooled. To justify himself, he misses no opportunity to denigrate democracy and its decadent values. It is presented as a hypocrisy and we must admit that we are often making a rod for our own backs… Another leitmotif: Western “freedom” reserved for the super-rich, chaos for the urban areas where the police do not dare to show their face. One day, he even replied to a journalist: “I prefer to be a dictator than a homosexual.”

It is likely that his real electorate is around 50 to 60% of the vote, which is not bad. He can count on a pool of voters he reassures. His appeal lies in the relative stability of the country. So, it is based on facts.

Asked in 2006 about the reasons for his election score (84.4% of votes), the shaman explained, without the least embarrassment, that he actually got 93.5%, but asked the central electoral commission to reduce this figure, so as not to shock the Western public, accustomed to more modest scores.

To achieve this, you need a well-honed system. One of the methods is to have voters in easily-influenced groups, such as public enterprise workers, civil servants and students, vote in advance, as permitted by law. A message is also sent in advance to the directors of the many state factories that anyone failing to get at least 60% of their employees to vote for the right candidate will be sacked. Bat’ka then gains momentum, as others see that he is going to win. More votes follow. Nobody wants to cancel a family cruise in Croatia.

It must be understood that if Bat’ka suppresses opposition movements, imprisons opposition leaders and muzzles the media, it is not out of malice, but because he is a realist. Those who – they are many – pretend that he is stupid are wrong. Luka simply cannot take the risk of being the butt of the joke, or end up a laughing stock. Who would want it? We saw what happened to his friend Milosevic… No, Bat’ka is far from being a fool and he knows what would happen if he lowered his guard, even just one time. Inquiries and Commissions would follow any electoral defeat and he would be, with his entourage, and all those who benefit from the system, his system, questioned, held accountable, and at the very least, humiliated.

He saw the thing happen elsewhere, on videos posted on Youtube. Losing elections is losing everything. As in Bangladesh (see the forthcoming section of this website on Bangladesh). And given the fact that he went very far in the repression, it is unlikely that the opposition would forgive him, in case of victory. Assuming that he would be left at liberty, it would not relieve the burden of humiliation, like the Caucasian fox, nickname for Shevarnadze, sacked during the Rose Revolution, in Georgia, then allowed to stay in the country on the condition that he would no longer mingle with politics. In short, it is a clear-cut case of them or him and he can quote from memory Samuel L. Jackson: “and you best believe… it ain’t gonna be me…“[2]

Especially since the dynasty is on its way : Daddy shows his yongest son (Nikolai, alias Kolya) on every occasion, a fair-haired boy, groomed to take the succession, even if it will take time. No need to rush. One acclimatises to power, no matter what Henry IV says. The same is true in Azerbaijan, in the Aliyev family, which provides the model. Since the son (Ilham) succeeded the father (Heydar) to the presidency, the clan reigns supreme in Baku. It’s been a good quarter of a century. Same cause, same effects: paternalism, clientelism, communication-propaganda (the sacrosanct “PR”), and a policy of carrot and stick. It is a proven method.

Paternalism: the chief is adulated, his portrait displayed everywhere. He is omnipresent and omniscient (see the Max Weber definition of the charismatic personality). He sacrifices himself for his people and watches over its happiness, fighting its enemies (the ideal type here is Marshal Pétain). As for Lukashenko, he also likes to point out that he was not born with a silver spoon in his mouth.

He uses the symbolism of the WW2 partisans who resisted the Nazis and plays the role of a savior who dares to say “no” to Western hypocrites who pretend to bring freedom but just want to impose their market laws, which would cause a widening gap between the rich and the poor. And he is not wrong.

Clientelism: the system provides for the basic needs of the population, which Lukashenko has managed to homogenize, while pampering an elite that roughly corresponds to ten percent of society, occupying all key positions: police, army, intelligence services, as well as the industry and banks.

Communication-propaganda: Despite the stranglehold on institutions, much depends on official communication and propaganda, which occupy a good part of the efforts of the presidential administration. This media complex hammers home the great principles. Hence the cohort of commemorations, inaugurations, anniversaries, parades, and other official ceremonies. In short, a lot of oil for the machine. Cameramen work hard, but it is prohibited to film the President’s back … Question of respect.

As for the carrot and stick policy, it is as old as King Herod and boils down to rewarding the faithful and beating up the opponents, and being even harder on the traitors.

The doors of the Fathers factory have never been closed. The good people are reassured in front of a figure of incontestable authority that spares them the endless parliamentary debates and the logorrhea of human rights. They do not sink under the burden of new laws, as in Western democracies, which call into question what was built the day before, to the point that nobody understands anything. No, in Belarus, things are simple! It suffices for a lawyer to read a few briefs to find his way, unlike the Western legal jungle in which the most experienced magistrate sometimes loses himself, missing a new paragraph which will crush down the judgment he had painfully written, sacrificing his weekend.

This Fathers factory works all the better as the system is culturally patriarchal. Work, Family, Homeland. It rings a bell… But at least here, the President appears on TV like the man in the street, sporting a sweat suit while tearing a carrot from his garden to hand it over to the actor Steven Seagal, paying him a visit. Like Stalin, he cultivates an image of a badly trimmed peasant. It’s enough for him to be taller than the Russian president. No need for a better cut suit. Anyway, he came to power before him.

It must be admitted that Lukashenko is really the first leader to have been able to set up a social contract in Belarus and to make sure that the gap between the rich and the poor is less obvious than in Russia or Ukraine. Gas and water are provided almost for free and the economic situation of the country is not the disaster we are usually depicted. Crime is almost absent from the streets, or at least invisible. And no terrorist attack to deplore nor any participation in “international military adventures”, to quote the Good Father. In short, a quiet life…

Luka has a certain charisma, for sure, the more so if we refer to the definition of the charismatic authority by the sociologist Max Weber.[3] And he knows how to use the emotional register. He makes many references to sport, presented as the cure for all ills, and speaks of the women of his country, like the model Maryna Linchuk, as the most beautiful in the world, which is not far from the truth.

In his first-ever election campaign in 1994, while his opponent foolishly centered his speeches on the subject of guilt, accusing his countrymen of being backward, in comparison with their European neighbors, Lukashenko, on the contrary, praised his people and promised them “bread and bacon. “

He began to make a name for himself shortly after independence, using his position as Chairman of the parliamentary anti-corruption committee as a stepping stone.[4] Riding in like a white knight during a memorable session, he declared, brandishing a bundle of documents, that he possessed all sorts of evidence against many elected officials sitting in the hemicycle. It was not completely true, but only the results matter … One of his advisers even orchestrated a false assassination attempt to make him gain popularity, followed by a campaign of intimidation of many opponents, including several enforced disappearances (a close friend of this advisor is none other than the arms salesman and adventurer Viktor Bout, who served as a model for Nicolas Cage in the movie Lord of War, currently serving a sentence in an American penitentiary.)

Putting forward his rural origins, Lukashenko was declared to be untouchable and “above the parties” and used simple and reassuring formulas, like his slogan: neither left nor right, but for the people!

Many Belarusians are afraid of change, partly with reason, partly because of the way in which the media present the situation in Western countries. For example, when a few cars are set on fire in the suburbs of Paris, the message that passes in Belarus is that France is on the verge of implosion. A teacher told me with bewilderment: “But Jacques Chirac, he did so much for France! “, stunned to learn that the former President had been indicted by a judge.

Epilogue:

Back to Belarus, a few months later, in the Spring. In a night train from Kiev to Minsk, crossing the international border. No less than four checks. At one o’clock in the morning, a Belarusian customs officer enters my compartment barking “passport !!! “. Then, noting my guitar case, he widens his eyes, exclaiming: Jo Dassin! (a French singer of the 1980s). He then immediately begins to sing: “la la la … où tu voudras quand tu voudras … et on s’aimera encore…” Then, he warmly shakes my hand and explains that he wooed his wife with this song when they first met. As a result, he scarcely glances at my passport and closes the door carefully, wishing me a good night.

An hour later, when I finally fell into a deep sleep, the train stops again abruptly and a young man enters the compartment. Short hair, slender and muscular. A diamond on the ear. He immediately undresses and hits the sack.The next morning, he wakes up, orders two coffees and begins to tell me his story. He is a Belarusian, but lives in neighboring Ukraine and goes to his mother’s home in Minsk to celebrate Womens’ Day. His activity in life? Stripper. Seeing that I look surprised, he pulls out of his suitcase what looks like a British army uniform and also a bobby helmet. His panoply. Then he tells me about how he discovered dance at college, and decided to turn professional. And when I tell him that it must not be easy to display his homosexuality in Belarus, he responds, smiling, that he knows how “to slip through the cracks,” then hands me his business card which bears the title “performance artiste“ under his name, just in case I should need an officer of her gracious majesty.

In the dining car, I discuss the recent elections with a group of young people. One of the girls says she supports her President and accepts no criticism. Her brother is more reserved. At one point, he takes his courage in both hands and says that when they announced the results, in December, he went to Minsk, and saw women and children shouting „go away!“ before being stopped by the police. He is immediately called to order by his sister, who castigates him with her eyes.

I learn that the secretary of an opposition candidate has been found hanged and that the official investigation has concluded on the verdict of suicide… All that can be said is that if the occupants of 221B Baker Street had been consulted in this case they would have asked some embarrassing questions, especially about the bruises present on the body. For that matter, Inspector Lestrade and the immortal Clouseau may even have raised an eyebrow between them.

The Father-President was re-elected for the third time, just below the 80% mark, which is rather fair play. The Electoral Commission was also kind enough to grant 2.43% of the votes to his challenger (but he was arrested afterwards, as a precautionary measure.) Thousands of protesters rallied in Minsk at the announcement of the results, and the riot police intervened, incarcerating several hundred people, including seven out of the ten candidates who had stood for election. But today, seven years later, White Russia‘s relations with the Western world have improved. Sanctions are suspended because of the relaxation of the persecution of the opposition and also because of the pro-Ukrainian position of Belarus in the current crisis in Donbas (Eastern Ukraine).

(Many thanks to Martin Meenagh for the complete revision of the English version. His remarquable insight helped me enhancing the original French version of the text).

Notes:

[1] Andrew Wilson, Belarus: the last dictatorship in Europe (New Haven: Yale University Press, 2011).

[2] In the film Jackie Brown.

[3] Max Weber, “The Nature of Charismatic Authority and its Routinization”, Theory of Social and Economic Organization. Originally published in 1922 in German : Wirtschaft und Gesellschaft. Weber shows that charisma is based on a belief in a special social relationship. The charismatic leader is considered by the “people” as a person endowed with exceptional powers, confirmed by his actions. He is often presented as a magician (or a shaman). Charisma then enters into a process of routinization, as is the case in Belarus. Weber also explains that the subjection of the dominated to the charismatic leader is obtained by three factors: interest, habit or fear. We can see that it is also the case in Belarus.

[4] See Andrew Wilson, Belarus: the last dictatorship in Europe (New Haven: Yale Univerity Press, 2011).

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