Handcrafted with love by Fragments Of Time

Géorgie – Georgia – Грузия

Au pays de la toison d’or

Bien placée pour acheminer vers l’Europe de l’Ouest le pétrole et le gaz de la mer Caspienne, la Géorgie n’est autre que l’ancienne Colchide, patrie de la toison d’or, vers laquelle voguèrent jadis les héros grecs dirigés par Jason. Leur expédition avait certainement un tout autre but que celui de voler la toison, jalousement gardée par un dragon. L’objectif était économique, comme aujourd’hui, dans la lutte d’influence qui oppose la Russie, les États-Unis et l’Union européenne dans cette région du Caucase pourvue de deux artères stratégiques : le nouveau oléoduc traversant le pays, qui est géré par un consortium regroupant Britanniques, Américains, Turcs, Français (la compagnie Total) et Italiens, tandis que le gazoduc Nabucco permet à l’Europe de s’affranchir, partiellement, de la Russie en acheminant directement le gaz naturel d’Azerbaïdjan.

Avant la révolution bolchevique, le conspirateur Lénine faisait référence à cette quête héroïque des Argonautes lorsqu’il parlait du jeune Staline comme de son « fougueux Colchidien ». C’est à Gori, une ville proche de Tbilissi (la capitale) que je traverserai une demi-douzaine de fois dans les prochaines semaines, que Staline – dont le vrai nom était Iossif Djougachvili – fit ses premières armes à la tête d’une bande de truands, tout à l’apprentissage des ficelles du « sale bouleau de la politique », comme il le disait avec affection, ce qui lui permit ensuite de devenir le bras droit de Vladimir Ilitch (Lénine).[1]

La Géorgie, comme l’Ukraine, est à cheval entre deux mondes. En 1991, les Occidentaux avaient refusé de reconnaître son indépendance, pour ne pas froisser le Kremlin, tandis qu’aujourd’hui, ils crient au complot dès qu’un différent a lieu entre Moscou et Tbilissi. Depuis la fin de la courte guerre russo-géorgienne de 2008, l’Union européenne utilise les images satellitaires de son centre d’observation de Torejon, en Espagne [2], pour prouver aux Russes qu’elle détient la preuve de la présence de leurs forces armées aux frontières de la Géorgie, où deux nouveaux États de facto (l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie) ont fait sécession avec la Géorgie pour retourner dans le giron du Kremlin.[3]

Au temps des tsars, les Géorgiens s’étaient déjà placés sous le protectorat du Kremlin, ayant compris qu’ils ne pouvaient résister à la fois aux Turcs et aux Russes. Ces derniers n’achevèrent la conquête du Caucase, en écrasant les Tchétchènes et les Tcherkesses, qu’en 1859, au terme d’une guerre de cinquante ans. Du protectorat, sous les tsars, à l’annexion, sous les Soviets, il s’est écoulé peu de temps. Aujourd’hui, la Géorgie a obtenu son indépendance, mais elle hésite encore entre deux options : se placer sous la férule de l’Union européenne (et donc des Américains) ou renouer avec les Russes.

La France entretient des relations privilégiées avec la Géorgie depuis le début du vingtième siècle.[4] En 1921, après l’invasion de l’armée rouge, le gouvernement géorgien s’exila au château de Leuville-sur-Orge, en région parisienne. Cependant, Paris lui retira son soutien officiel après la signature du pacte de non agression franco-soviétique, en 1932, pour faire bonne figure auprès du Kremlin. Plus récemment, la France se souvint du rôle qu’elle avait joué dans le Caucase et mena les négociations de paix après la guerre russo-géorgienne de 2008. L’original de l’Accord en Six Points qui mit fin aux hostilités n’existe d’ailleurs qu’en version française.[5]

Cette guerre-éclair n’a duré que quelques jours de l’été 2008. Mais elle a fait plusieurs centaines de morts des deux côtés. Elle s’est déclenchée en plein mois d’août, suite à des accrochages frontaliers entre les Géorgiens et les Ossètes du Sud, qui s’étaient séparés de la Géorgie depuis les années 1990. L’hyperactif président géorgien Michel Saakashvili, récemment réélu, a témérairement décidé de jouer le tout pour le tout en envahissant l’Ossétie du Sud. Une décision téméraire. Il faut dire que le Kremlin avait joué la provocation en fomentant des troubles ethniques aux frontières, en représailles aux négociations en cours pour l’accession de la Géorgie à l’OTAN, qui étaient menées tambour battant par l’administration de Saakashvili. Un scénario semblable fut reproduit peu après en Ukraine.

Le Kremlin a répondu en déclenchant une attaque cybernétique sur les sites officiels géorgiens puis en lançant son armée à travers un tunnel de quatre kilomètres de long qui traverse la montagne du Grand Caucase à son endroit le plus étroit, entre les deux Osséties, à deux mille mètres d’altitude. Une fois la frontière franchie, les Russes sont allés jusqu’aux portes de Gori, la ville natale de Staline, en faisant attention de ne pas endommager la statue du grand homme par des bombardements irréfléchis.

A Istanbul, je retrouve le hall pour les passagers en transit et m’installe dans un café. Un homme vêtu de noir s’assoit à une table voisine. Je sens qu’il guette quelque chose. Difficile de dire de quel pays il vient. Des yeux presque bridés et des cheveux crépus. Il finit par me demander, en prenant un air de conspirateur : « humm, what you think, Sir, humm, Iran… Iran…. Third World War ?… » Il  ressemble à un Bolchevik de la première heure préparant un hold-up dans une taverne de Tbilissi, en compagnie du jeune Staline, auquel il fait d’ailleurs un peu penser, avec ses cheveux hirsutes et ses yeux brûlants. Il s’éloigne avant que j’aie eu le temps de répondre. Je termine mon café sous l’emblème d’une sirène à queue bifide, les cheveux ondulés et la tête coiffée d’une couronne surmontée d’une étoile. Ce symbole de Starbucks me fait penser à la Petite Sirène du conte de fée danois que j’écoutais dans mon enfance, sur un disque vinyle 45-tours que mon père m’avait acheté. J’étais évidemment tombé amoureux d’elle. A présent, elle me sourit, sur fond vert, ses bras tenant les deux parties de sa nageoire. Il y a-t-il aujourd’hui un seul aéroport international qui n’ait sa petite sirène ?

Premier soir à Tbilissi. C’est l’automne de 2016. Une température idéale (24 degrés). Deux jeunes femmes passent devant moi, bien différentes de la petite sirène de mon enfance. La première est assise sur la portière d’une voiture décapotable flambant neuve, conduite par un jeune homme portant des lunettes de soleil (en pleine nuit). L’autre est installée plus classiquement sur la banquette arrière et consulte son portable. Des diamants brillent à ses oreilles. Elle a les cheveux très longs, comme la sirène du conte, mais affiche un air blasé et porte un t-shirt sur lequel est écrit :dance or die.

Le même soir, sur un quai du métro de la station Dniepro,  je croise une femme sans âge, le dos courbé, qui fait un pas devant l’autre avec d’infinies précautions, portant un lourd seau de métal rempli de céréales. Cette femme très maigre est vêtue d’un vieux pull de laine verdâtre, d’une robe informe et de grosses chaussettes dans des galoches trouées. Un fichu cache les quelques cheveux qui lui restent, plaqués contre les tempes où saillent des veines ressemblant à de gros vers de terre. Elle a fait tout le chemin pour aller à l’endroit où les céréales sont le moins chères, juste devant la gare centrale, même s’il lui faut ensuite les porter jusqu’à son immeuble de banlieue. Le seau étant trop lourd pour ses muscles rabougris, c’est le squelette qui le porte, bras tendus comme des barres de crémaillère. Elle effectue mécaniquement la suite de pas nécessaires pour rentrer chez elle et préparer le repas pour dieu sait quel mari. Aussi petite qu’une enfant, elle a pourtant vu passer le siècle. Lorsque le métro a été construit, dans les années 1970, à l’époque soviétique, elle était déjà une femme accomplie. Elle a connu son premier homme sous Staline, le petit gars du pays, et elle se souvient avec nostalgie des années de la grande Terreur, car c’était une époque où elle était faite de chair et de sang et abattait sa portion de turbin sans même s’en apercevoir, tout à la fierté de construire l’avenir radieux. Mais touche-t-elle seulement cent euros de pension aujourd’hui ? Je n’ai pas le coeur de prendre une photo.

Une jolie petite ville, calme et tranquille :

Quelques jours plus tard, j’emménage dans la ville d’Akhalsikhe, une région du sud du pays où les Arméniens sont nombreux. A la lisière de la forêt, un monastère catholique a été construit récemment, où vivent un prêtre italien et cinq nonnes. C’est très provincial, comme dans la série Twin Peaks, avec des montagnes tout autour plantées de hauts sapins (mais pas de pins Douglas, cependant). Les fruits font ployer les branches des arbres. Des hommes placides jouent au backgammon dans les rues. Dans la forêt voisine, vivent des ours, des sangliers et des renards. Je me demande si ces derniers sont de couleur claire, comme les cheveux de l’ex-président du pays, Edouard Chévardnadzé, surnommé le « renard blanc du Caucase » pour sa ruse et ses cheveux prématurément blanchis.[6]

Nous buvons un jus de prune maison, puis la femme de mon hôte nous sert un thé accompagné d’airelles fraîches. Les tasses sont en porcelaine colorée. La maîtresse de maison est une brave femme aux yeux débordant de bonté. Ses deux charmantes filles sont vêtues de longues robes, car, expliquent-elles avec fierté, elles « ne suivent pas la mode ». Les trois femmes parlent géorgien, russe et arménien.

Dans le vaste bureau du gouverneur brûlent des bougies posées sur un long buffet devant une dizaine d’icônes. Un homme très pieux, ce gouverneur, à n’en pas douter. Le reste du bureau est vide, à part une grande télévision à écran plat diffusant les nouvelles du jour. Le gouverneur est un homme corpulent aux cheveux coupés courts, le visage carré, massif. Il a un long nez et des lèvres suaves sur lesquelles s’esquisse un sourire permanent, mais qui n’aboutit jamais à un vrai show of teeth, comme disent les Américains. Il fait penser à Lord Varys, de Game of Thrones, en plus musculeux. Vêtu d’une chemise rose en lin, ouverte sur une peau bronzée autour de la piscine familiale, il porte une paire de jeans artificiellement délavés, trois gourmettes et deux bagues massives. Un iPhone dernier cri est posé devant lui.

Il se trouve que cet homme a séjourné en France, où il a joué au rugby, un sport qu’affectionnent les Géorgiens, qui sont bâtis pour. Il ne manque pas de nous fournir son contingent d’anecdotes pittoresques sur les femmes, puis déclare, la main sur le cœur, ne rien avoir contre les Russes, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Je veux bien le croire, car après tout, la récente guerre entre la Russie et la Géorgie n’a duré que peu de temps et a été provoquée par les lubies d’un Président mégalomane, dont le grand-père, le prince Abachidze, magnat du manganèse, avait hébergé le jeune Staline à l’époque où ce dernier, chef de gang, proposait ses services de protection rapprochées aux riches industriels, tout en préparant la révolution. La situation a bien changé depuis. « Ici, c’est une ville calme et tranquille », nous assure-t-il. C’est un fait que j’ai pu vérifier. On se croirait au début de Twin Peaks ou d’un roman de Stephen King : « une jolie petite ville, calme et tranquille… »

Au commissariat de police :

Le chef de la police locale me fait aussi bonne impression. On voit bien que son personnel a été plongé dans la sauce yankee. Les nouveaux uniformes, bleu foncés, ressemblent à ceux de n’importe quelle bourgade du Midwest, ce qui fait que la chanson State Trooper de Bruce Springsteen commence à me trotter dans la tête. Il faut dire qu’après la Révolution des Roses, le président Saakashvili, conseillé par les Américains – il avait travaillé comme avocat à New York – avait limogé la quasi totalité des officiers de policiers du pays, car ces agents très mal payés étaient presque tous corrompus. Il faut reconnaître qu’aujourd’hui ça a changé. On a l’impression d’entrer dans le bureau de police de Twin Peaks et on s’attend à ce qu’on nous offre des donuts et du café. La secrétaire, assise à un guichet, ressemble à s’y méprendre à l’actrice Kimmy Robertson qui joue le rôle de Lucy dans la série américaine, avec ses longs cheveux bouclés et un visage de poupon. J’aimerais rencontrer l’alter ego géorgien de son petit ami, Andy Brennan, un de mes personnages préférés. Je suis sûr qu’il y en a un ici. Et je peux témoigner du fait – très rassurant – qu’il existe un Andy Brennan dans chaque bureau de police du monde, en particulier dans les endroits les plus improbables. J’en ai croisé en Russie, au Nicaragua et même au Bangladesh. Cependant, de là à demander au Chef : « dites-donc, Shérif, puisqu’on s’américanise à fond ici, vous seriez aimable de convoquer votre Andy Brennan local, juste pour une minute, s’il vous plaît, pour qu’on voit la tête qu’il a… »

« Ici, c’est un peuple d’agriculteurs », nous informe le Chef du bureau de police. « La pomme de terre surtout, et l’élevage. Tout ce qu’il y a de plus tranquille. Plus personne ne se tape dessus, comme avant ».

La principale occupation de ses agents semble être de contrôler les véhicules à moteur pour vérifier que les conducteurs ne sont pas en état d’ébriété. Il y a bien une petite antenne de l’université de Tbilissi, dans le centre ville, mais pas de quoi casser quatre pattes à un canard. On nous sert un café, mais il n’est pas accompagné de donuts (il faudra revenir dans quelques années pour que la panoplie soit complète).

La Révolution des Roses :

C’est le moment de parler de cette révolution « de couleur », qui a fourni de modèle à la révolution orange en Ukraine, pendant les élections présidentielles. On est en 2003 et la corruption gangrène le système. Le président en exercice, surnommé le « renard blanc du Caucase », fait entrer Michel Saakashvili, surnommé « Micha », dans son gouvernement. Micha est, comme on l’a dit, le petit-fils du prince géorgien qui avait hébergé un jeune bandit du nom de Staline avant la révolution. Il a fait son droit à Kiev, avant d’aller travailler comme avocat à New York.

Très ambitieux, Micha a suivi un stage en Serbie où le département d’État américain a soutenu le mouvement Otpor (« Résistance ») qui a précipité la chute de Milosevic. Un mécanisme équivalent est mis sur pied en Géorgie et le mouvement prend le nom de Kmara,  c’est à dire « Assez ! » Mais les élections sont tout de même remportées par le régime, grâce à une fraude massive (selon un procédé que l’on retrouve, en partie, au Belarus – voir la section de ce site internet consacrée à ce pays). En réaction, Georges Bush menace de réduire l’aide américaine. Etrangement, le Kremlin ne réagit pas. Il est probable que l’administration russe apprécie de moins en moins le Président géorgien et serait contente de s’en débarrasser.

Grâce à une ONG américaine du nom de NDI [7], les opposants utilisent un système de Comptage Parallèle des Votes (PVT [8]) dont les résultats sont immédiatement publiés.[9] Ils placent le candidat de l’opposition en tête. Ce qui fait que lorsque les résultats officiels finissent par annoncer la victoire du régime la population de Tbilissi est tellement choquée qu’elle sort en masse sur l’artère principale de la capitale, l’avenue Roustaveli. Les militants de l’opposition se mettent à distribuer des roses devant le Parlement, d’où le nom qui sera donné plus tard à cette révolution pacifique.

Mais le régime s’entête à se maintenir au pouvoir et c’est à ce moment que Micha saisit l’occasion par les cheveux et force l’entrée du parlement, au moment où le président en exercice prononce un discours sur sa victoire aux élections.  Le « renard blanc du Caucase » est obligé de quitter le bâtiment, sous les huées de la foule, les bras chargés de roses et sera contraint de démissionner. A la suite de quoi, Micha – qui se voit adjoindre le qualificatif « le Flamboyant » – est élu sans difficulté pour le remplacer. Fait rare, il nomme au poste de Ministre des Affaires étrangères une diplomate française, ambassadrice de France à Tbilissi, qui suit les pas du duc de Richelieu – jadis ambassadeur à Odessa – mais elle sera bientôt limogée pour avoir dénoncé la corruption du nouveau pouvoir et s’être entendue avec son homologue russe, Sergei Lavrov, sur un retrait des troupes russes de Géorgie en échange du paiement d’une grosse somme en dollars, proposée par les Américains.

La même année, Micha le Flamboyant– qui ne se caractérise guère par sa modestie – commet l’erreur de soutenir la révolution orange dans l’Ukraine voisine, ce qui met un terme définitif aux relations, jusque là assez cordiales, qu’il entretenait avec le Kremlin. La tension ira en s’accroissant jusqu’au déclenchement, quatre ans plus tard, de la guerre russo-géorgienne dont on a parlée. Micha ayant expulsé des officiers russes en poste à Tbilissi, pour espionnage, Moscou lance une campagne contre les Géorgiens installés dans les grandes villes russes et interrompt la livraison de gaz naturel à son petit voisin. Furibond, Micha menace d’accepter le bouclier antimissile américain et se rend au Sommet de l’OTAN pour faire acter le principe de l’adhésion à terme de la Géorgie à l’organisation de sécurité atlantique. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et précipite la guerre, qui a pour effet de remettre les pendules à l’heure, tandis que les Américains se gardent d’intervenir.

L’adjoint au maire :

Le maire est absent de son bureau en application de la nouvelle loi électorale, élaborée avec l’aide des experts américains et c’est son adjoint le remplace puisque le maire s’est inscrit comme candidat aux élections législatives. Une règle parfaitement respectueuse des bonnes pratiques.

Le jeune élu a un projet pour le développement du château de la ville et prévoit de mandater un consultant étranger « pour être sûr d’utiliser tout le potentiel de cet endroit magnifique. » Il s’est rendu en Pologne récemment, dans une ville où le château médiéval est bien moins impressionnant, mais génère davantage de chiffre d’affaire : « c’est une question de gestion et de programmation. » Il n’a pas tort.

Pour se faire une idée de ce château, il suffit de s’imaginer un hybride de Dorne et de Port Real dans Game Of Thrones. Le château de Rabat renferme une mosquée, une synagogue, une église orthodoxe et une église catholique. Il a été restauré (un peu trop) il y a quelques années et s’entoure aujourd’hui d’une muraille de créneaux en pointes. En son centre, s’étend un long parvis bordé par une colonnade de marbre blanc à veines jaunes. Il y a aussi de nombreux bassins et des fontaines. Quatre jeunes caucasiens en jeans moulés, les cheveux brillants de gel, sont groupés près des colonnes de marbre à écouter de la musique à fort volume. A chaque fois qu’une jeune touriste vient à passer, ils exécutent, l’un après l’autre, une des superbes danses tourbillonnantes de la région. Les jeunes femmes qui visitent le château sont souvent des étudiantes de Tbilissi, d’où le choix de ce terrain de chasse. Cette scène renvoie aux Aventures de Ka (à paraître sur ce site [10]), dont voici un extrait :

La chose se produisit pendant la deuxième séance photo, devant la colonnade de marbre dans l’enceinte du château. Ils y étaient retournés en fin de journée pour capter la lumière du soleil couchant. On ne pouvait trouver de lieu plus approprié pour les portraits de Nino, une jeune femme mi-géorgienne, mi-arménienne à la peau blanche et aux lèvres vermeilles. Ses longs cheveux avaient la couleur des plumes de corbeau. La cour du château mêlait les styles islamique, orthodoxe et roman. C’est après quelques portraits sans relief et une succession de poses répétitives que le phénomène se produisit. Les yeux de la jeune femme prirent soudain feu, les iris captant les derniers rayons qui se mouraient à l’horizon. Une extraordinaire couleur ambrée fit surface, comme la porte de la Moria devant le Porteur de l’Anneau. Ka sentit cet ambre couler au fond de lui tel un Cognac pris à jeun. Sous les paupières de velours, les prunelles de Nino disparurent en se consumant dans ce feu liquide, comme sous le souffle d’un dragon. C’était un ambre sans âge au service d’une créature de feu.

Dans ce château, il y a aussi une madrasa à deux étages du dix-huitième siècle. « Quand on pense que ceux qui nous ont construit ça sont aujourd’hui en prison ! » se lamente une femme qui travaille dans le musée. Effectivement, après sa défaite aux dernières élections, l’ancienne garde du Mouvement National Démocrates (en géorgien : ნაციონალურიმოძრაობა– დემოკრატები) a incarcérée au moyen de procès pour corruption destinés à la mettre hors d’état de se représenter aux élections suivantes, selon une technique éprouvée aux quatre coins de la planète (en particulier au Bangladesh– voir la future section du site internet consacrée à ce pays). Son chef (Micha) est aujourd’hui en exil, tout comme le sera, quelques années plus tard, Babanov, le leader de l’opposition au Kirghizstan (voir la section du site internet consacrée à ce pays).

Je visite plusieurs bureaux de campagne administrés par différents partis politiques. Le parti au pouvoir, le Rêve Géorgien[11],a promis de respecter les règles démocratiques voulues par les bailleurs occidentaux. Tout semble aller comme sur des roulettes, à la différence des précédentes élections qui avaient été parcourues de tensions et caractérisées par une forte pression des autorités. De nombreux candidats sont massifs et ventripotents. L’un d’eux ressemble comme deux gouttes d’eau au roi Robert Barathéon de Game of Thrones, dont il partage un goût immodéré pour la chasse, le vin et les femmes (lorsqu’elles ne lui compliquent pas la vie). Mais il a plus de chance que le monarque des Sept Couronnes, car son épouse est aux petits soins. Rien à voir avec la reine Cercei Lannister. Lorsqu’elle se penche pour déposer devant nous un plateau contenant de belles tasses à café, elle a un faux air de Sensa Stark (dans sa prime jeunesse). Il est clair que ce candidat n’est pas du genre à se faire éventrer par un sanglier dans la forêt. Il  semble bien parti pour gagner. A la fin de la discussion, il nous raccompagne à la porte d’entrée et me broie poliment les os de la main tout en me recommandant un club de jazz à Tbilissi où se produit un saxophoniste de ses amis.

A Borjomi :

Le bel alphabet géorgien, tout en cursives (le nom du pays, par exemple, s’écrit : საქართველო) se marie bien avec les hanches de la chanteuse qui gesticule sur l’écran de la télévision d’une petite gargote où j’avale un katchapouri, pain chaud au fromage ressemblant à une pizza. Il s’écrit ხაჭაპური en géorgien. C’est le plat national, décliné en toutes sortes de variétés. Aujourd’hui, il s’agit d’un khatchapouri Imeruliaccompagné d’un vin géorgien, non pas un Château Mukhrani Shavkapito, comme hier soir, mais un Telavi Old Cellar Saperavi, qui est deux fois moins cher (8 laris pour 150 ml), et presque aussi bon.

Borjomi est une ville connue de tous les habitants de l’ex-Union soviétique pour son eau de source aux propriétés curatives et ses bains. Ayant épuisé les visites dans les bureaux des fonctionnaires de la localité, je termine la lecture de l’excellent livre de Pierre Razoux sur la Géorgie[12]dans un des rares cafés ouverts à cette saison. C’est dans cette ville que Micha le Flamboyant (l’ancien président de la Géorgie, aujourd’hui en exil) avait invité son homologue ukrainien, au temps des révolutions de couleur, pour lancer un appel aux Occidentaux.

Dans un couvent, une nonne de dix-sept ans nous fait visiter la petite église qui vient d’être restaurée dans le jardin d’un ancien chalet russe des Romanov. Ce joli manoir en bois a brûlé, il y a quelques années, mais sa gracieuse tourelle pointue est intacte. Tout autour, un parc planté de sapins, chênes et bouleaux aux troncs parcheminés. Cette résidence historique de la famille impériale russe a été offerte à l’église orthodoxe géorgienne par le gouvernement après l’indépendance. Les autorités sont malheureusement peu soucieuses de conserver le patrimoine architectural russe ou soviétique, surtout depuis que l’Eglise est devenue une force politique influente.

La jeune nonne a des pommettes de nourrisson que la timidité rehausse d’une rougie piquetée, telle une brûlure d’ortie. Des mèches de cheveux blonds dépassent du châle qui lui couvre la tête. Elle parle d’une petite voix chuintante comme l’eau de la rivière qui ruisselle tout près.

« Elle sera gelée dans trois mois », commente-t-elle en regardant la rivière. C’est une orpheline, entrée dans les ordres à quinze ans, après deux années passées dans le couvent comme femme de ménage. Non, elle n’ira pas voter lors des élections. D’ailleurs, elle sort rarement de l’enceinte du couvent. Mais elle continuera à prier pour le gouvernement : « qu’il soit toujours prospère ».

Une pie prend son envol dans un jet noir et blanc sur fond de feuillage vert et vient se poser sur la branche d’un sapin. Dans les villages alentour, ce sera bientôt le temps des feux dans les poêles de fer. Cependant, le couvent est doté d’un chauffage central des plus modernes. Le confort est assuré, comme dans toutes les communautés orthodoxes du pays. En échange, il faut suivre les règles et garder son rang, dans un système très hiérarchisé.

Portrait du Géorgien du sud :

Le Géorgien du Sud a une allure de Hobbit, valeureux, sympathique et attachant. Il ne pratique guère de sport, passé la trentaine. Il n’est satisfait que lorsque son ventre dépasse d’une bonne largeur de poing de sa ceinture, de préférence de marque Levis ou Wrangler. Il aime être assis confortablement au volant de sa voiture (de couleur noire, de préférence, et de marque allemande) fumant cigarette sur cigarette en écoutant de la musique. Il attend. C’est un art dans lequel il excelle. Il chante souvent les obsédantes mélodies de son pays, à l’instar de Sosso – un des surnoms de Staline – qui écrivait des poèmes romantiques et cultivait des roses pendant les grandes purges, en entonnant : « envole-toi, noire hirondelle ».

Ses vêtements sont noirs, parfois gris, ou à la rigueur kaki, mais toujours sombres. Il cultive une rudesse de paysan mal dégrossi ou d’ours mal léché et porte avec dignité une barbe de trois jours, affichant un air impassible, en toutes circonstances, car il doit être bien clair pour tout le monde « qu’on ne la lui fait pas ». Il déteste, plus que tout, être le dindon de la farce, surtout dans le « sale boulot de la politique » et des luttes de clan dont il est passé maître.

Son style de conduite automobile est sportif, mais contrôlé (il n’a rien du truzzo d’Italie). Cependant, il lui arrive de donner un coup de volant pour éviter les chiens errants, les vaches et autres quadrupèdes fréquentant l’asphalte à toute heure du jour et de la nuit. Il prend son temps, toujours prêt à bavarder, mais ça ne l’empêche pas de savoir se battre quand l’occasion se présente. Il conserve son tempérament juvénile jusqu’à un âge avancé. Il connaît une foule de gens dans le détail. Sa famille et son clan comptent beaucoup pour lui, tout comme le cercle de ses amis. Aussi versé en généalogie que le Duc de Saint Simon, il ne se trompe jamais sur un nom ou une ascendance.

Il affectionne le vin et lorsqu’il s’anime sur une piste de karaoké, il se montre étonnamment souple et fringuant en dépit de son poids et de son allure léthargique. Enfin et pour tout dire, manger est sa passion, raison pour laquelle il contemple son ventre arrondi avec affection, lui passant volontiers la paume dessus pour en parcourir la circonférence. Il le porte quotidiennement comme une preuve de sa valeur et une marque de son civisme.

Du Soft Power considéré comme un des beaux-arts :

Comme dans toutes les grandes villes de Géorgie depuis que l’aide américaine coule à flots, une pièce de la bibliothèque municipale est réservée au « American center », avec environ trois cents livres en anglais sur toutes sortes de sujets. On y trouve des biographies de Bill Clinton, Harry Truman ou Barak Obama (cette dernière est également disponible en géorgien). Rien cependant sur Lee Oswald ou Kurt Cobain. C’est ce qu’on appelle le soft power, un terme fourre-tout pour désigner la lutte d’influence entre les pays disposant d’une agence internationale de développement et d’intérêts économiques à l’étranger. Et puisqu’on y trouve aussi les trois principales sagas de notre époque (Le Seigneur des Anneaux, Harry Potter et le Trône de fer), ce n’est pas moi qui irai me plaindre… Il y a aussi une réplique de la Statue de la Liberté qui compense l’absence de livres dans la langue de Molière.

Quelques soldats américains, des marines, passent ici plusieurs semaines par an. Ils entraînent l’armée géorgienne. J’en croise quatre, en uniforme : deux hommes et deux femmes, qui s’occupent aussi des cours d’anglais à destination des enfants, un peu comme les membres du Peace Corps [13] dans l’Ukraine voisine. L’agence américaine USAID a, bien entendu, ouvert un bureau dans la ville et les enfants géorgiens apprennent désormais l’anglais dès la primaire, tandis que la langue russe ne figure plus au curriculum que deux ans plus tard, à partir de l’âge de neuf ans, ce qui est ridicule, mais probablement temporaire. A l’adolescence, ces enfants parleront donc mieux anglais que russe, à l’inverse de leurs parents. Cependant, les choses devraient se rééquilibrer dans quelques années car il est de l’intérêt des jeunes de ce pays de parler aussi bien le russe que l’anglais.

Pendant une formation pour les membres des commissions électorales dans une école primaire. La formatrice est une jeune femme lourdement fardée venue de Tbilissi. Les « élèves » sont des hommes d’ethnie arménienne assis à des tables d’écoliers qu’ils pourraient faire éclater juste en étendant les jambes. Leurs larges pognes aux ongles cassés contrastent avec le blanc du papier. Vêtus de couleurs sombres, ils ont de beaux visages ciselés, tannés et durcis par les hivers de six mois. Admirables nez, très expressifs. Les communautés arméniennes sont partout dans le Caucase, comme le notait déjà Alexandre Dumas dans son récit de voyage.[14]

Un tandem d’observateurs de l’IRI (International Republican Institute), une des officines d’aide à la démocratisation, financées par les Etats-Unis, observe le déroulement du stage. Ce couple d’observateurs, qui a un faux air de Laurel &; Hardy, est déployé dans la région depuis quelques mois pour surveiller la préparation de la campagne électorale. On sent qu’il y a de gros intérêts en jeu. Tout semble calme, mais les Russes sont encore aux frontières de ce que les Géorgiens appellent les « territoires occupés ».[15]Ce sont les ONG américaines du type IRI qui ont aidé les réformistes géorgiens à mettre en place le mouvement Kmara ! (« Assez ! » en géorgien) qui a provoqué la Révolution des Roses et le changement de régime, il y a un peu plus de dix ans. Les autres ONG importantes sont le NDI (dont nous avons parlé plus haut), Freedom House (fondée notamment par Eleanor Roosevelt) et la fondation Open Society, fondée par George Soros.

Toasts et chansons :

En fin de journée, notre hôtesse nous sert un jus de raisin très concentré et liquoreux dans une toute petite bouteille en expliquant que, s’il y en a peu, c’est qu’il est tombé de la grêle en août et que les vignes du jardin ont été abîmées. Puis, c’est une suite de plats simples et délicieux : une confiture d’hippophae(une baie orange et amère), des pommes de terre sautées à la sauce aux prunes, des œufs de ses poules, pas totalement durs pour en préserver les vitamines et des beignets de maïs de forme ovale. Mon hôtesse proteste : « mais vous ne mangez rien ! Vous en avez pris si peu… », alors que j’en suis à la cinquième assiette. Un beau sourire éclaire son visage lisse et arrondi, de la teinte automnale des poires mûres. Ses deux charmantes filles consultent de temps en temps leurs smartphones et sont aux petits soins avec leurs parents. A la nuit tombée, une voisine nous rend visite. C’est une jeune femme blonde qui travaille au commissariat de la ville. Elle est accompagnée de sa sœur aînée. Nous buvons un vin maison et la charmante policière de déclamer un long poème mélodieux de sa composition au sujet des montagnes. Ses yeux pétillent. Ensuite, les deux sœurs entonnent un chant traditionnel géorgien qu’elles interprètent habituellement à trois voix avec leur père (il est aujourd’hui en déplacement). La mélodie est superbe. Comme le veut la coutume, nous portons force toasts à l’amitié entre les peuples, en russe, qui est resté la lingua franca de la région. On discute d’un vieux film géorgien, Atietz soldate (Le Père du Soldat), de Rézo Chkheidzé. Il se déroule pendant la Seconde guerre mondiale, lorsque le pays est partagé entre ceux qui misent sur l’Allemagne nazie pour obtenir l’indépendance du pays (Hitler a accepté du bout des lèvres de créer un bataillon géorgien) et ceux – plus nombreux – qui se sont ralliés aux Soviétiques.  Après la guerre, pour prix du sang, Staline octroya à la Géorgie deux enclaves montagnardes peuplées de Tcherkesses et de Tchétchènes qu’il envoya en déportation en punition de leur collaboration avec les Nazis. Ils seront suivis par les Turcs de Meskhétie, que je rencontrerai dans le sud du pays (voir ci-dessous) et, plus tard, au Kirghizstan (voir la section du site internet consacrée à ce pays). Bien sûr, je ne peux m’empêcher de parler du personnage de Chourik du film Kavkaze Pienitsia (Le Prisonnier du Caucase), que tout le monde connaît dans l’espace post-soviétique et la charmante policière de se mettre aussitôt à interpréter une chanson de cette remarquable comédie musicale, en imitant les mouvements de la brunette qui tient le premier rôle.

Doggy-bag :

Le lendemain soir, n’ayant pas pu terminer l’incontournable khatchapurid’un restaurant du centre-ville, j’en mets deux triangles dans un sac plastique et rentre me coucher. Grimpant la colline, je suis suivi par deux chiens : un bâtard de couleur noire et un autre plus petit et tout râpé. Je leur donne à chacun une part du plat géorgien, en faisant en sorte que le gros n’empêche pas le petit de manger sa ration. Les deux chiens s’en pourlèchent les babines avant de s’en retourner, clopin-clopant, vaquer à leurs occupations nocturnes. Je me demande s’ils connaissent le compère gris-pâle à taches blanches que j’ai croisé il y a quelques jours sur la route de Ninotsminda et qui semblait se rendre à un rendez-vous. Tel le Thin White Duke, il suivait pas à pas la ligne blanche, en bordure de la route nationale en lacets, longeant la rivière, aussi réglé qu’un tramway. C’était un bâtard squelettique, gris pâle à taches blanches, tout allongé, la queue et les oreilles terminées par une pointe noire comme s’il les avait trempées dans un encrier. Un de ses yeux semblait plus foncé que l’autre à cause de la tache blanche qui l’entourait, tout comme le Thin White Duke(alias David Bowie). Tête baissée, il avançait inexorablement sur le bord de la route. Il lui restait environ douze kilomètres jusqu’à la ville la plus proche, Aspindza et je me suis demandé quel rendez-vous l’attendait là-bas. C’est ce qu’on verra dans Ka.[16]

Un chien au service de Toby Seth (extrait des aventures de Ka, à paraître…) :

« Appellez-moiTheThin White Duke. C’est LUI qui m’a baptisé. Il m’a donné un nom, à moi qui n’en avait pas, ce jour, entre tous, où on a croisé son chemin, au Maître, mon pote Farel et moi. C’était entre Akhalkalaki et Akhaltsikhe, en Géorgie du Sud, ou plutôt au sud de la Géorgie, car, qu’on s’entende, j’parle de celle qu’est située en Europe, juste en-dessous d’la Russie et non de l’autre, de Géorgie, en Amérique, où c’est que les gamelles pour chiens sont aussi grandes que des roues d’camion, à c’qui paraît. C’est ce qu’on raconte. Non, faut pas confondre les deux… même si, vous m’direz, elles sont pas mal liées aujourd’hui… Rapport à la CIA, à c’qui paraît. Mais passons… J’sais pas bien c’que c’est, moi, la CIA, quel goût ça a… Faudra que j’pose la question à Farel, mon frère d’armes. Il en connaît long sur toutes ces choses, le Farel, vu que… mais passons. Tous ces noms de lieux, c’est pas le Farel, c’est le Maître lui-mêmequi m’les a appris. C’est à traverslui, comprenez, que j’me suis révélé capable de les nommer, ces choses. Bref, Appelez-ça comme vous voulez… j’me comprends… vu que c’est c’qui compte au bout du bout : Connais-toi toi-même, qu’il a dit.

Par mes canines !… Y m’fait voir d’ces trucs à travers ses yeux ! Et sous sa férule, nous zôtres, on lui a levé LaTroupe… Oui,c’estmoi et Farel qu’on lui la levée, La Troupe, à nous deux. Autrement dit, les Chiens de Diamant. Y avait que nous, au début, voyez… Y nous fait confiance, le Maître. C’est ce qu’est le plus dingue, quand j’y pense… Bref, avec Farel, on s’est occupé de tout, depuis A jusqu’à Z. On les a tous recruté, ses fureteurs, ses rabatteurs, et les autres aussi ! ça nous connaît, comprenez… Nous zôtres, on n’a pas usé nos coussinets su l’béton pendant toutes ces années pour rien, pouvez m’en croire… Et à la fin du « stage probatoire », comme il l’appelle, on nous a demandé – tenez-vous bien ! – notre avis, à nous ! Chiens des rues !… Notre avis, pour nommer les lieutenants. Dingue ! Ya pas d’autre mot… Bref, on a mis sur pattes toute La Troupe. Tous, chiens errants, gueux sans gamelle, recrutés pour LUI ! Et on nous a tout bien expliqué : va y avoir une guerre, un combat à mort, que ce s’ra, œil pour œil dent pour dent. Faut s’y préparer. C’est tout l’art, qu’il a dit… Et tout l’art est dans la préparation.

Ça, je savais déjà, pensez ! Vu que c’est ce qui m’a permis de pas crever de faim après la mort de mes vieux… Mais tout ça, c’est de l’histoire ancienne, comme si ça c’était passé dans une autre vie. Et pourquoi pas, M’sieur ?… Pourquoi y aurait que ces satanés griffus qui en auraient, plusieurs vies, que diable !… Ces foutus chats de malheur. Reste à prouver ! Encore du bluff, que j’parie. D’la politique... C’est malin un chat !… Mais nous zôtres aussi, on a appris la musique, pardi ! Et on joue maintenant dans la cour des grands, m’est avis… Oh, m’a élevé, le Maître ! m’a élevé à ce point de compréhension que jamais… jamais j’aurais pensé !… Un don qu’il a, le seul d’entre eux – les hommes – à en être capable… de vraimentnous comprendre. Bref, un chef, un vrai. Œil pour œil, dent pour dent... L’Oiseleur et sa foutue bande d’emplumés, zont qu’à bien s’tenir, ou gare à la saignée ! Pouvez m’en croire… Et j’me réserve personnellementson maudit merle blanc… le plus mesquin de toute cette satanée bande de chair d’esclaves. C’est le Maître qui l’a promis… » (fin de l’extrait)

I will kill you :

C’est une ancienne ville minièresituée dans la région de Shamtskhe-Javakheti (il m’a fallu deux semaines pour apprendre à prononcer correctement ce mot. En géorgien, les lettres « kh » produisent le phonème « r »), une ville qui n’est plus que l’ombre d’elle-même depuis la fermeture de la dernière mine de charbon. Aujourd’hui, le gaz y est acheminé jusqu’aux maisons par un réseau de tuyaux peints en jaune soutenus à deux mètres du sol par des béquilles de métal de même couleur. Sur la rue principale, l’avenue de l’Amitié, un gigantesque Palais de la culture de l’époque soviétique termine de se décrépir dans l’indifférence des pouvoirs publics. Imposant et majestueux, il est inexploité à l’exception d’une vaste salle de spectacle à haut plafond où ont lieu quelques représentations avec des rangées poussiéreuses de fauteuils de velours rouge et un éclairage bidouillé avec du fil électrique raccordé à une boîte de métal. Un homme ressemblant à Albert Einstein est occupé à installer un décor de fortune sur la scène branlante. Lorsque je lui demande le titre de la pièce en cours de préparation, ce régisseur hirsute ouvre grand la bouche, découvrant une rangée de dents en or disposées en râtelier et, les yeux écarquillés, se met à crier, en anglais : « I will KILL you » en prolongeant tous les « i ». Il semble en avoir vraiment envie… mais finit par changer d’expression et sur un mode plus aimable m’assure que c’est effectivement le titre de la pièce. Les acteurs sont des étudiants de la capitale, originaires de cette petite ville et qui viennent répéter ici, une fois par semaine. Mais ils sont en retard aujourd’hui : « ils ont passé le week-end en boite de nuit, sûr !… à se trémousser les uns contre les autres » et ce disant, le régisseur se met à tournoyer comme un derviche dans une danse qui ressemble plus à une valse démente qu’aux gesticulations à la mode dans les clubs de la capitale. Il s’arrête d’un seul coup et part d’un grand éclat de rire qui résonne dans toute la salle, aussi haute de plafond qu’une cathédrale. Bref, ce brave homme ferait un acteur idéal pour interpréter au cinéma le rôle du savant fou.

Des fresques géantes des années 1950 finissent de se décomposer sur les murs. L’une représente un groupe jovial exécutant une danse géorgienne sur fond de drapeaux rouges et d’étoiles soviétiques, une autre a pour sujet une mine de la région, en pleine effervescence. Le gardien du palais nous dit qu’il y a travaillé, dans un puits qui descendait « à plus de 400 mètres ». On perçoit une nostalgie dans sa voix et il en faudrait peu pour faire remonter à la surface toute l’histoire de ces années 1950-1960 pendant lesquelles ce vieux gardien du temple était un fringuant jeune homme exerçant un métier d’homme avec deux ou trois affaires de cœur sur le feu, une époque révolue pendant laquelle ce Palais de la Culture raisonnait au son des hymnes et des bottes.

Villages de montagne :

Ce sont des zones retirées, rongées par le chômage et l’exode rural, comme un peu partout en Europe. On y croise peu de jeunes, à part, de temps en temps, une femme et son bébé. « Tous ceux qui sont restés dans la région se sont ruinés, ou à peu près », me dit-on, et les autorités locales « les ont puissamment aidés dans cette œuvre. » Je suis invité à prendre un café (turc) chez une connaissance de mon hôte. C’est, paraît-il, « tout près d’ici ». S’ensuit environ une heure de route sur un chemin cabossé. Dans cette partie de la Géorgie, il faut presque doubler la distance annoncée pour avoir une idée de la durée réelle du trajet. Nous arrivons dans une maison exposée à tous les vents, perchée en haut d’une colline entre de petits champs de maïs. Le foin fagoté est stocké contre un muret. Une truie au cuir rose frotte son groin contre une grille cabossée (c’est donc un village orthodoxe et non musulman), tandis qu’une source s’écoule paisiblement dans un bassin de pierre. Des roses et des pivoines fleurissent le potager. Les arbres ploient sous leur fardeau de pommes. On m’en tend une, que je croque aussitôt. Très juteuse. Un groupe de poules est poursuivi par un coq hargneux et bruyant, comme s’il tenait à prouver sa valeur au Gaulois de passage et se faire une réputation au-delà des frontières. On nous sert une assiette de noix confites dans le sirop. Il faut manger l’intégralité du fruit : pas seulement la noix, mais aussi la chair qui l’entoure. D’aspect, ça rappelle les œufs pourris qu’affectionnent les gourmets chinois.

Parmi les trois personnes en faction dans le petit bureau de vote voisin, une jeune femme aux cheveux dorés, un sourire timide aux lèvres, porte un rouge à lèvres discret, d’une teinte orangée. Elle est fraîche comme l’eau de la source de sa grand-mère, qui la nourrit des fruits des arbres et des légumes du potager. Mais au début de l’automne, elle s’en ira étudier à Tbilissi et s’y trouver un mari. J’espère qu’elle n’oubliera pas ses racines.

La cueillette des champignons (et des votes) :

Tout autour d’un village peuplé de Musulmans, au pied de la montagne, à l’Ouest, en direction de la mer Noire, dans un district limitrophe de la région d’Adjara, l’herbe des hautes prairies est tondue par la langue des vaches aussi nettement qu’une pelouse anglaise. Ici vivent quelques familles de Turcs de Meskhétie, rentrés au pays après un demi-siècle d’exil en Asie centrale, en raison de la déportation ordonnée par Staline, en punition de leur supposée collaboration avec les Nazis pendant la Seconde guerre mondiale. Je rencontrerai des descendants de cette communauté exilée dans le sud du Kirghizstan à l’occasion d’un autre voyage (voir la section de ce site internet consacrée au Kirghizstan).

A moins d’être un savant de la force de Lévi-Strauss, il est difficile de distinguer les Turcs de Meskhétie de leurs voisins arméniens. Des bergers en transhumance guident un cheptel de moutons à laine noire vers les sommets. Là-haut, ils font du fromage, ce qui me donne envie d’en goûter. Ces bergers ont trois chevaux et un poulain, que son propriétaire propose aussitôt de me vendre, pour trois cent dollars. J’aimerais beaucoup, mais pour bien faire, il faudrait patienter ici encore deux ans, pour ensuite m’en retourner en Normandie sur le canasson en question, une fois qu’il aurait atteint l’âge adulte. Faute de temps, je décline l’offre, avec regret.

Un homme débouche d’un sentier et se rapproche de notre groupe. Il est coiffé d’une sorte de bob en feutre blanc et porte un seau de plastique suspendu à son bras. Il déclare s’en aller aux champignons. Dans ces forêts, on trouve surtout des « lèvres de daim», délicieuses quand elles sont revenues à la poêle. Il s’avère que cet homme est membre du parti au pouvoir, le Rêve Géorgien, qui l’a chargé d’organiser la campagne pour les législatives dans le district. Pour notre gouverne, il passe en revue les victoires de son parti, en les comptant sur ses doigts : la nouvelle route asphaltée qu’on a empruntée pour venir jusqu’ici (car ailleurs, ce n’est que « chemins boueux et sentiers de caillasse »), les lampadaires qui éclairent la rue principale des villages avoisinant, les facilités pour les élèves voulant aller à l’université, etc. Il récite sa leçon en y mettant un accent de sincérité, puis nous prédit monts et merveilles pour le prochain mandat, en cas de nouvelle victoire aux élections.

Il est clair que ce brave homme ne va pas seulement à la cueillette des champignons, mais qu’il espère aussi récolter le maximum de votes. Use-t-il de pressions pour les obtenir ? Difficile à dire, mais il suffit de regarder quelques années en arrière pour comprendre que les campagnes d’intimidation et d’extorsion pourraient revenir à la mode dans ce pays et les ouailles de ce cueilleur de champignons cracher au bassinet. Avant la Révolution des Roses, un candidat aux législatives pouvait espérer acheter son élection au parlement pour moins de 50 000 dollars, très vite amortis, comme aujourd’hui au Bangladesh ou en Afghanistan (voir les futures sections du site internet consacrées à ces pays).

Un jeune ours :

Dans une école de village de la même région montagneuse où les élèves sont tous Musulmans. Une adorable fillette portant un bandeau sur la tête pour tenter de contenir son abondante chevelure blonde déclare avec enthousiasme : « my name is Maryam and I am learning English ». On nous sert un bon café à la turque. Du bois craque dans le poil de fer qui a vite fait de chauffer la pièce. C’est beaucoup plus efficace que les systèmes de chauffage modernes et je dois revoir ma copie sur les écoles sans radiateurs. L’hiver, on peut très bien s’y chauffer au bois et y faire cours dans l’atmosphère intime et onirique d’un poil qui craquette. Par contre, ils auraient vraiment besoin d’un équipement sportif digne de ce nom.

Un peu plus loin, se trouve une petite mosquée sans prétention à l’entrée d’un village composé de familles géorgiennes et turques. Aucun problème de voisinage ou de radicalisation. Le mollah est un brave homme, ouvert et tolérant, qui respecte les enfants, quelle que soit leur confession.

Dans une petite cage au milieu d’un jardin, tourne une grosse boule de poils marron-clair avec, au milieu, une gueule allongée, terminée par un museau fouineur, tout mouillé de jus de raisin. C’est un ourson sauvage. Ses yeux noisette sont joueurs et dépourvus d’agressivité. Il a le regard nébuleux, comme celui d’un nourrisson et ses yeux sont rouges aux extrémités par manque de sommeil. Il a des griffes longues, déjà très capables d’arracher la peau de n’importe quel   imprudent qui viendrait le taquiner de trop près.

L’ours a été mis dans cette petite cage de fortune il y a deux semaines. Elle est bien trop étroite pour sa corpulence, car il a déjà atteint la taille d’un très gros chien. Le pauvre diable tourne donc en rond et ne rêve que de retrouver sa forêt, ses arbres et son miel sauvage, même si on lui en donne de temps en temps, du miel de forêt. Mais rien n’a le même goût en captivité.

J’ai entendu parler de cet ours pour la première fois lors d’une conversation autour d’un café servi par une employée de l’école du village. Une de ses collègues s’est mise à discuter de son fils aîné, un chasseur invétéré qui avait trouvé un ourson dans la forêt, perché en haut d’un arbre et qui ne pouvait pas en descendre. Le garçon avait donc décidé de le recueillir, de peur qu’il ne meure de faim ou ne finisse dans l’estomac des loups, nombreux dans la région.

Aujourd’hui, l’ourson est bien nourri et grandit un peu plus chaque jour. Il ne manque pas de compagnie, tous les enfants du village lui rendant visite, presque quotidiennement. On lui donne à manger du raisin qu’il avale avec un soin méticuleux, grain après grain, s’aidant d’une patte pour tenir la grappe, tandis que sa langue rose détache, une à une, les perles juteuses. Au bout de quelques minutes il a étendu sur ces deux joues un beau vernis. Avec son air pensif, son large front et ses petits yeux écartés, il ressemble à s’y méprendre à Paddington. Mais il aura bientôt atteint une taille trop importante pour que sa famille d’adoption puisse le garder en cage et elle devra prendre la décision de le rendre à la forêt.

Chez les sœurs X et Y :

« Never make a politician, grant you a favour / They will always want to control you forever » (Bob Marley, « Revolution »)

X et Y sont des religieuses africaines originaires de la région ultra-violente du Nord-Kivu, en République « démocratique » du Congo. On se met à parler du Président Kabila, qui s’accroche à ses fonctions par tous les moyens et laisse son pays sombrer dans le chaos, un peu plus chaque jour. X parle sans jamais hausser le ton : « vraiment, ce Président que nous avons au pays, il ne doit pas rester. Je vais vous raconter quelque chose pour vous faire mieux comprendre la situation qui prévaut là-bas. Je suis rentrée au pays en juillet, à Goma, et j’ai rencontré un monsieur là-bas qui m’a dit la chose suivante. Ce monsieur, un jour, au beau milieu du Kivu, il a vu un groupe d’hommes armés qui descendaient de la colline et qui se dirigeaient vers lui, vers ce monsieur dont je parle. Ils sortaient tout juste de la forêt… Il y avait aussi un homme en tenue de ville, avec eux. Alors, le groupe en question, il s’est approché du monsieur dont je parle et l’homme en costume de ville (leur chef), il lui a dit, avec un ton autoritaire et tout : « et toi là-bas, approche un peu voir. Est-ce que tu me connais ?… » Alors l’homme dont je parle, il a eu très peur, bien sûr, car il a tout de suite reconnu le président Kabila, en personne… Aussi, il a répondu par la négative, qu’il ne le connaissait pas du tout, qu’il ne rencontrait jamais personne dans ces collines, du reste, où même aucune voiture ne se montrait jamais, etc… Alors le chef, il s’est étonné de sa réponse et il lui a dit : « mais, on me voit partout ! Voyons, réfléchis bien, mon visage est connu, on le montre souvent. Tu es bien sûr que tu ne me reconnais pas ? » Et le pauvre homme – qui faisait tous les efforts du monde pour s’empêcher de trembler – de confirmer, car il tenait à sa propre vie, vous comprenez. Alors, Kabila – puisque c’était lui – il lui a annoncé : « écoute, tu vas faire un travail pour nous, maintenant » et en disant cela, il lui a donné, à cet homme, une caisse remplie de machettes toutes neuves et aussi deux cent dollars en liquide, et puis il lui a expliqué qu’il fallait qu’il se batte contre tel ou tel groupe. Et aussi une bouteille d’alcool, de cinq litres, il lui a donné ça aussi…

C’est comme ça que les choses se passent dans mon pays. Les politiques de tous bord, ils fabriquenttoutes ces milices armées, au milieu de nulle part, pour créer des problèmes et ensuite, ils disent qu’ils sont les seuls à pouvoir rétablir l’ordre et que vous devez voter pour eux aux élections. Les politiciens de tout acabit… Non, vraiment, on ne peut leur faire confiance, à aucun d’eux. Vraiment, aucun n’est digne de notre confiance. »

Cette femme dit la vérité et confirme ce que j’ai entendu à d’autres occasions. Puis la conversation bifurque sur la question du Rwanda. Soeur Y est d’avis qu’il faudrait pour le Congo un dictateur comme le chef de l’exécutif rwandais, Paul Kagame, car : « au moins au Rwanda, ils ont des routes », mais sa soeur rétorque : « peut-être, mais au Rwanda, tu sais, les gens pauvres, ils sont chassés loin de leurs maisons, ils sont refoulés vers les collines, pour que le monde extérieur ne les voit pas. La capitale, Kigali, elle est devenue une vitrine pour les touristes étrangers. Mais c’est que de la poudre aux yeux. Au moins nous, en RDC, on n’a pas cette tricherie. Dès que tu mets un pied dans le pays, tu comprends tout de suite que quelque chose cloche… »

Elle a rencontré le célèbre Docteur Mukwege, celui qui « répare » les femmes violées, par milliers, dans le Kivu. C’était dans la ville de Bukavu où les deux soeurs habitaient à l’époque : « un soir, ilsont voulu tuer le docteur. Je me souviens. J’étais dans la ville. Mais c’est son garde du corps qui a été assassiné à sa place. Je le connaissais. »

Ces deux Congolaises vivent depuis des années en Géorgie où leur communauté religieuse a acheté la maison où elles habitent, près d’un ruisseau. Il y a un grand jardin. « C’est moi qui m’en occupe », dit soeur X. A l’intérieur, c’est très propre : un salon, une jolie cuisine – avec une assiette de petits gâteaux que les deux sœurs ont préparée – et une petite chambre confortable pour chacune. Il y a aussi une salle de prière commune, au rez-de-chaussée. La maison est située dans une des rues les plus calmes de la ville.

Sœur X nous accompagne dans un centre de l’ordre de Malte qui vient en aide aux handicapés. Un ascenseur a été aménagé, de même qu’une grande salle pour les exercices physiques. C’est spacieux et fonctionnel. Dans la salle de travail, quatre bénéficiaires sont occupés à dessiner. Deux hommes et deux femmes. La plus timide est assise à l’écart, bras croisés sur la table, tête tournée vers le mur. C’est seulement lorsque la religieuse africaine s’approche qu’elle réagit, enfouissant son visage dans le ventre de sœur X, comme un animal apeuré cherchant protection sous l’orage. Un peu plus loin, un garçon colorie au crayon rouge des dessins pré-imprimés dans un cahier, en débordant de partout à travers les lignes. Il a le front bas et les yeux très grands. Assise à côté de lui, une jeune femme aux cheveux hirsutes se présente, en russe, avant de recourir au géorgien pour raconter son histoire : elle n’arrivait ni à marcher ni à parler lorsqu’elle était petite, jusqu’à ce qu’un médecin lui apprenne à se déplacer de façon autonome. Une jeune femme sans défense, à mille lieux de la rouerie des politiques de tous bords, du Congo ou d’ailleurs.

A Ninotsminda :

Après une nuit à l’hôtel Ararat (nom de la montagne sacrée des Arméniens et de la fameuse marque de Cognac) on poursuit la route jusqu’à Ninotsminda. C’est une région presque exclusivement arménienne où les habitants s’expriment la plupart du temps en arménien (beaucoup ne comprennent pas le géorgien). La plupart des hommes accomplissent des travaux saisonniers en Russie, voire s’y établissent et envoient régulièrement de l’argent à leurs familles restées au pays. Les deux villes principales du district sont très peu développées. Il n’y a pas même de café digne de ce nom pour un centre ville de dix mille habitants. On avale un jus noir et tiède dans une gargote dépourvue de salle commune, mais dotée d’une série de petites cellules, comme si la fréquentation des autres clients était une souillure. Je me demande comment les jeunes font pour se rencontrer. A l’école, ou sur les bancs de l’unique parc de la ville, si on peut appeler ça un parc : trois bancs achevant de rouiller sur des touffes d’herbe jaunie. Et pourtant, le jovial adjoint au maire à la chevalière sertie d’un diamant, déclare, en russe, après m’avoir gratifié du titre de MON BON AMI : « vous verrez, grâce aux soins d’une administration toute paternelle, notre ville s’est embellie d’un jardin public offrant de l’ombre et accueillant des oiseaux. » On se croirait plongés dans Les âmes mortes… Une succession de petits magasins obscurs ponctue l’avenue principale, dépourvue de trottoirs. Pas même de salle de billard, alors que la moindre ville d’Afghanistan en est pourvue. Le seul endroit un tant soit peu ludique est une échoppe sordide construite en tôle et appelée « slot center » où trois machines à sous achèvent de rouiller dans une odeur de pisse de chat.

Mais dans la campagne alentour, c’est complètement différent. On respire. Un ciel déployé jusqu’à l’horizon et de grands espaces. Des chiens, des vaches et des chevaux, des collines veloutées, vertes et brunes, dépouillées d’arbres, sauf lorsqu’une petite bande de résineux les entoure comme une écharpe négligemment posée. Deux aigles planent dans le ciel, guettant leurs proies, dessinant des cercles sans battre une seule fois des ailes. Je réussis de justesse à en photographier un. Au pied des collines, repose un lac aux eaux dormantes, à la surface lisse comme un miroir. Il n’y a pas une seule barque, ni même un radeau de guingois. Pas l’ombre de pêcheur non plus. Dommage, car les poissons y sont de belle taille.

Les villages sont bien entretenus, avec de grandes maisons, beaucoup de fleurs (surtout des roses trémières) et des ruches bourdonnant sous le soleil. Une maison très nouveau riche, construite par un architecte d’Erevan, est flanquée d’une paire d’aigles en métal, ailes déployées, fixés sur les colonnes d’un portail rutilant.

La conquête du rail :

Vers la frontière arménienne, une nouvelle voie de chemin de fer est en construction, qui ralliera Bakou, en Azerbaïdjan, à la Turquie, en passant par la Géorgie. Mais la compagnie de construction n’emploie que des expatriés, travailleurs turcs spécialisés vivant ensemble sous des tentes, le long des rails. Quasiment pas de Géorgiens dans leurs équipes, dans une région où le chômage atteint des taux record. Les Arméniens moustachus, la casquette en laine vrillée sur la tête, fumant cigarette sur cigarette, commentent : « qu’est ce qu’on y peut ? c’est comme ça », « c’est la vie » ou bien : « vous savez, c’est plus facile pour la compagnie de n’avoir que des Turcs qui parlent la même langue ». Ni révolte, ni indignation. Un fatalisme ambiant. La procrastination des autorités locales fait partie du paysage. Un autre fumeur relativise : « ici avant il n’y avait même pas de route goudronnée ni d’éclairage public. Alors les choses évoluent quand même.»  Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas en France qu’on pourrait s’attendre à rencontrer cette attitude philosophique.

Pope culture:

Puissance renaissante, l’Eglise influence la politique et les popes affichent un mépris puissamment ancré pour tout ce qui se situe en dehors de leur « orthodoxie », un mot qui sonne comme une spécialité médicale. Les monastères sont décorés avec luxe. Nous croisons souvent des popes aux ventres protubérants qui cherchent à impressionner par leurs longues barbes et leurs regards toujours sévères. Aujourd’hui, le pays en fourmille. Ils jouissent d’un statut social et économique privilégié. Le mystère de Dieu, en ont-ils la clef ?… Ce qui est sûr, c’est que le « monky business » est florissant.

Près d’Ude, village d’origine de l’ancien premier ministre (actuellement en prison), nous sonnons à la porte d’un monastère pour accéder au magasin flambant neuf proposant des produits préparés par les sœurs (miel, confitures, artisanat). Un barbu hirsute, dont nous avons probablement interrompu la sieste, finit par entrebâiller la lourde porte en maugréant une phrase dont le diable sait le sens. Il serait difficile de rencontrer un plus riche spécimen de laideur. Vêtu d’une sorte de pelisse d’ours, il a de petits yeux fouineurs et une expression secrète et fuyante. Son crâne très dégarni, d’un blanc « cuisse de poulet », est pourvu d’un entrelacs complexe de rides formant labyrinthe, comme sur les icônes dont il s’inspire pour se composer cet air studieux et réprobateur, tout à fait l’expression d’un professeur tançant son élève. Bref, il ferait un parfait garde chiourme dans un caveau de l’inquisition, si l’Eglise orthodoxe en avait une.

A l’époque où le jeune Staline courrait les rues avec sa bande de chenapans, tout à l’apprentissage du doux métier de bandit, les popes de Géorgie n’avaient pas peur de s’encanailler en public et tombaient souvent ivres morts dans les tavernes. Mais aujourd’hui, confrontés aux exigences de la sacro-sainte PR (Public Relations) et aux dangers d’être exposés sur les réseaux sociaux, ils se retirent dans le secret de leurs monastères pourvus de tout le confort moderne. Cependant, leur allure n’a pas changée, ni leur intolérance. Rappelons que bon nombre d’extrémistes composant les mouvements terroristes des années 1900, en particulier les bolcheviks, avaient été éduqués dans les séminaires orthodoxes dont les méthodes d’enseignement ne manquaient jamais de les mener droit à l’athéisme ou au nihilisme, à l’image du jeune Staline, qui renia Dieu après avoir été exposé à plusieurs de ces popes, à commencer par l’archimandrite Sérafim de triste mémoire, à Tbilissi.

Les Doukobores :

Retour vers le sud et la frontière arménienne, à la rencontre des Doukobores, qui ne sont plus que deux cent, à peine, en Géorgie. Cette communauté russe exilée sur ordre du tsar, au dix-neuvième siècle, se caractérise par sa philosophie non-violente.

En passant devant des oda– maisons basses aux toits plats recouverts d’une couche de terre qui en assure l’isolation et les fait ressembler aux logis des Hobbits de la Comté – nous entrons dans le village de Gorelovka, où vivent une cinquantaine de familles doukobores. Une villageoise rousse au regard placide, occupée à réparer une palissade, résume ses journées par ces mots : « le travail, encore le travail et toujours le travail. » Ici, il n’y a pas de gaz, il faut se préparer pour l’hiver en faisant sécher de la bouse de vache. La villageoise ajoute : « les politiques, oui bien sûr qu’ils viennent ici avant chaque élection, et ils font leurs promesses, mais rien ne change pour nous. » Son potager lui fournit des légumes pour les conserves et ses deux vaches lui donnent du lait. « Et à présent, on a l’électricité », commente-t-elle en souriant. Quel fossé entre son visage ouvert et rayonnant et le museau du pope rencontré deux heures plus tôt…

Ce village dépeuplé était la capitale des Doukobores de Géorgie au dix-neuvième siècle. Les villages voisins portent aussi des noms russes : Yefremovka, Orlovka et Bogdanovka. Ce dernier évoque des souvenirs de jeunesse et je me demande si les frères Bogdanov sont originaires de cette bourgade, eux qui ont initié à la science et à la science-fiction toute une génération d’enfants à travers leur célèbre émission télévisée des années 1980.

Le nom de cette communauté signifie, en russe : « lutteurs de l’esprit ». On peut dresser un parallèle amusant : le célèbre groupe Daft Punk tient son nom d’une critique malencontreuse qui lui avait été adressée au début de sa carrière, car les mots « Daft Punk » signifient quelque chose comme : « purée musicale nauséabonde ». De la même façon, le vocable « doukobor » est issu des propos critiques d’un patriarche orthodoxe qui s’était moqué des idées du nouveau mouvement en accusant ses membres d’être en lutte contre l’esprit saint, « dour », en russe (дух).

Comme les Cathares, ils sont épris de liberté. A la veille de la révolution bolchevique, ils s’assemblaient en cercles pour regarder brûler leur armes, empilées sur un bûcher, en protestation contre la conscription imposée par le Tsar, tandis que les cosaques les fouettaient. Les Doukobores sont plusieurs milliers à avoir émigré au Canada, en embarquant sur la mer Noire dans le port de Batumi, situé à six heures de route de leurs villages du sud de la Géorgie. Tolstoï contribua à leurs frais de voyage grâce aux droits d’auteur de son roman « Résurrection », aux idées pacifistes. Aujourd’hui, cette communauté prospère regroupe environ quarante mille personnes au Canada et plusieurs milliers aux États-Unis.

Selon une légende locale, les cigognes, qui nichent au-dessus des maisons, quittent définitivement le pays à chaque départ d’une famille doukobore. Bientôt, ils seront tous partis, car beaucoup retournent vivre en Russie, le ministère russe des Affaires étrangères leur fournissant une aide au rapatriement, avec la contribution de l’Office pour les Migrations. Les jeunes ne veulent pas rester, car en Russie, ils pourront sortir en discothèque et trouver du travail, alors qu’ici c’est impossible, malgré la bonté, l’humilité et le sourire de leurs grands-parents.

Cette communauté pratique peu le Nouveau Testament, lui préférant les Psaumes. Ellerejette le clergé, les icônes et tout le rituel ecclésiastique, ce qui ne contribue guère à la mettre en odeur de sainteté auprès des popes. Leur premier leader historique, un certain Siluan Kolesnikov, puisait son inspiration dans les écrits mystiques de l’écrivain français Louis Claude de Saint-Martin. Le régime tsariste, influencé par le clergé orthodoxe – tout comme Louis XIV l’avait été par l’église catholique lorsqu’il révoqua l’Edit de Nantes – avait édicté un décret qualifiant d’iconoclastes (ikonobortsy) cette communauté. En cela, les Doukobores sont proches de leurs frères Puritains de l’Angleterre de Cromwell, en lutte contre le roi Charles Ier, qui y laissa sa tête (malgré les efforts des trois mousquetaires…).[17] Mais, à la différence des Doukobores, les Puritains anglais pouvaient compter sur leurs Côtes de fer [18], surnom donné à leurs troupes bien armées et combatives.

Cependant, cet édit ridicule du tsar les a peut-être sauvés. Il suffit pour s’en convaincre d’imaginer le sort qui leur aurait été réservé par le nouveau régime bolchevique – et son culte de l’ultra-violence. En effet, sans verser dans l’histoire contrefactuelle, qui confine à la spéculation, on peut se demander ce qui se serait passé si les Doukobores étaient restés en Russie après la révolution d’octobre 1917, lorsque la troïka Lénine-Staline-Trotski se mit à exterminer tous ceux qui s’opposaient, d’une façon ou d’une autre, à leurs méthodes expéditives ? Rappelons que, pour Léon Trotski, le « bavardage papiste et quaker sur le caractère sacré de la vie humaine » était un conte de bonne femme tandis que Vladimir Ilitch Lénine se déclarait prêt pour une extermination à grande échelle : « tout ce que l’on casse est de la saloperie et n’a pas le droit de vivre ! » On connaît la suite…

Ces persécutions font aussi penser à notre tristement célèbre Édit de Nantes, également imposé au pouvoir royal par une clique de gens d’église soucieuse de s’assurer un monopole et qui poussa sur les routes de l’exil la crème des Protestants, contribuant à enrichir les États du Nord (Angleterre, Pays-Bas), terres d’accueil des Huguenots.

Le guérisseur :

Dans une école que Lev Tolstoi a fondée, la directrice nous conseille une visite à un philosophe qui habite la petite ville et passe pour un « guérisseur ». A l’adresse indiquée, l’homme en question – une longue barbe blanche et des yeux pétillants – propose de nous accompagner jusqu’au lieu de prière et de réunion de la petite communauté doukobore réduite à quelques familles qui n’ont pas encore migré. C’est un ensemble pittoresque formé de plusieurs maisons de bois peintes en bleu. Belle architecture russe bâtie au dix-neuvième siècle. Notre guide, qui ressemble à Gandalf le Gris, nous montre un jardin de simples où poussent toutes sortes de plantes médicinales dont il connaît les propriétés. Il nous offre plusieurs grosses fèves brunes qu’il nous recommande de planter à notre retour au pays car elles ne manqueront pas de donner un arbuste dont les feuilles pourront atteindre un mètre de long et avec lesquelles il sera possible de nous laver très efficacement la peau et les cheveux. Puis il me dévisage et se met à tracer des lettres dans le sol avec son bâton de berger : « voilà », dit-il, « tu t’appelles Frederic, n’est-ce pas ? Et ce n’est pas pour rien. C’est inscrit à ta naissance. Le F, vois-tu, la première lettre, forme une spirale, regarde : elle tourne et tourne, sans cesse, tandis que le C qui termine le nom, représente la résolution. C’est l’alliance de ces deux principes qui est importante, vois-tu. Elle indique que tu dois essayer, en toutes circonstances, de faire du bon même avec les choses mauvaises que tu croises, ou qui sont en toi. Les transformer. »

Puis, il nous montre d’autres symboles peints sur une porte en bois. Mais le plus intéressant sont les broderies des jeunes femmes de la communauté, soigneusement rangées dans une belle armoire de la grande salle de réunion, au centre d’une grande maison en bois, peinte en bleu, qui forme le centre de la communauté. Ce joli bâtiment appartenait à la famille Kalmykov qui s’installa dans la région en 1841. L’intérieur est chauffé par un grand poil de faïence, bleu lui aussi. Le guérisseur ouvre une large armoire et en sort une pile de tissus bien pliés. Il en déplie quelques uns qu’il dépose, avec soin, sur une longue table de ferme patinée par les années. Ce sont de magnifiques écharpes brodées main, couvertes d’une série de symboles. Une sorte de curriculum vitae, chaque jeune femme de la communauté ayant brodé sa propre échappe afin d’« annoncer la couleur » à ses futurs prétendants, nous explique le vieil homme d’une voix solennelle. De cette manière, elle peut afficher aux yeux du monde ce qu’elle est vraiment et aussi ce qu’elle attend de la vie, bref tout ce qui, autrement, risquerait de ne remonter à la surface que trop tard, après un mariage malheureux. Ces écharpes sont donc des radiographies de l’âme de ces jeunes filles, conçues pour attirer le bon époux potentiel, The One, comme on dit ; elles sont un hybride de la toile de Pénélope et de l’écharpe des supporters des équipes de football.

L’une a choisi un motif en croix, représentant un mouvement perpétuel, car les Doukhobores croient en la réincarnation. Une autre a brodé une mosaïque de rectangles verts et roses, « pour signifier l’espoir de l’amour comblé », commente le vieillard, en passant délicatement sa main sur l’étoffe : « vois comme elle veut vivre pleinement ses rêves en compagnie de l’être aimé et comme elle annonce, par ce dessin : ne te frotte pas à moi si tu es étroit d’esprit, avare ou mesquin, car il te faudra m’encourager sur le chemin de la vie, semé d’obstacles, mais oh combien enthousiasmant pour ceux qui sont prêts à y semer les graines de leurs rêvesC’est une route sur laquelle je veux marcher avec toi, mon aimé, de chacun de mes pas désirants(il insiste sur ce mot), une fois nos deux âmes réunies. » En prononçant cette profession de foi, l’étrange vieillard a pris l’accent et les expressions d’une jeune fille.

Une troisième villageoise en âge d’être mariée s’est montrée plus sage et réservée, n’ayant brodé qu’un seul motif discret, en forme d’arbre, sur son écharpe. Chacune des branches donne naissance à celle qui suit : « c’est une figure généalogique qui marque le souhait de fonder une grande famille dont les ramifications se perdront dans l’espace-temps », commente le vieil homme.

Le « guérisseur » nous parle ensuite de l’énergie « qui doit sortir du bas ventre » et des esprits des ancêtres, idées proches de la pratique de l’Aïkido. Il paraît se porter à merveille pour son âge et sa réputation de sage n’est pas usurpée.

Trozzi et crucifix :

Les Géorgiens conduisent beaucoup plus prudemment que naguère, en raison des contrôles routiers qui se sont multipliés. Cependant, nous croisons le chemin de deux trozzi, comme les appelle ma collègue italienne. Ce mot – qui donne « trozzo » au singulier – désigne, en Italie, une certaine catégorie de jeunes gens qui conduisent comme s’ils étaient les rois de l’asphalte.

Dans le couvent catholique que nous visitons, la Mère-supérieure est Italienne, mais loin d’être une « truzzo ». Elle commente : « ici, les moines orthodoxes sont très fermés. C’est encore l’église byzantine, vous savez. Ils ne disent pas même bonjour quand on les croise. Ce sont des nationalistes qui n’ont pas participé au conclave, en Grèce. C’est vous dire s’ils cultivent leur indépendance ! » Sur ces entrefaites, une petite paysanne aux yeux d’épagneul, vêtue de noir, s’approche, tête baissée. L’humilité incarnée, comme sur la fresque de Giotto. La sœur la fait asseoir à côté d’elle. La paysanne sèche une larme, puis, défaisant son long châle, elle en extirpe un petit crucifix de métal que lui a offert son mari et explique qu’elle est inconsolable de ne pouvoir le garder, car : « le Jésus qui est dessus, il a les pieds croisés ».

J’ai du mal à comprendre… Mais le mystère s’éclaire lorsque la brave femme ajoute que sa voisine, l’épouse du plus riche fermier du village, a poussé des cris d’orfraie lorsqu’elle a aperçu ce crucifix. « Paraîtrait que c’est hérétique de porter ça », pleurniche la paysanne, « un objet du Démon, qu’elle a dit ». La religieuse italienne lui sourit et nous explique que, dans le rite orthodoxe, le Sauveur se doit d’avoir les pieds parallèles, et non croisés. Puis elle pose une main sur l’épaule de la paysanne et lui assure qu’elle peut garder ce joli cadeau de son mari, car Dieu n’y verra aucun mal. « Comment !? C’est ti vrai que c’est pas péché ? » s’exclame la femme aux yeux rougis. Son visage s’éclaire et elle embrasse avec dévotion la main de la sœur puis s’en retourne vers son village, heureuse.

En somme, les sœurs italiennes font aussi du soft powersans le savoir.

Mémoire d’un génocide :

Il y a deux drapeaux devant l’entrée de chaque école de la région de Ninotsminda : un géorgien et un arménien. C’est difficile en hiver lorsqu’il gèle à pierre fendre et que les toilettes sont à l’extérieur. Mais, comme toujours, les jeunes se débrouillent avec les moyens du bord, jouant au ping-pong sur une table bancale avec des raquettes de fortune. Ils sont habillés avec soin, tout comme les enseignantes qui portent tailleurs et chaussures à hauts-talons car il ne viendrait à l’idée d’aucune prof de ce pays de se présenter au travail en baskets ou sans maquillage.

Sur les murs, comme dans toutes les écoles de la région, sont exposées des photos du génocide arménien, accompagnées de poèmes. Ils ont raison de préserver cette mémoire, même si les images font froid dans le dos : corps calcinés et enfants rachitiques gisant au bord des routes après le passage de l’armée turque. Rappelons qu’au début de la première guerre mondiale, la Russie, alliée à la France, a combattu la Turquie et repoussé son armée jusqu’en Géorgie du Sud. En représailles, l’armée turque a massacré les Arméniens, accusés de collaborer avec les Russes.

Un riche mécène pourrait faire quelque chose d’utile ici en restaurant une école de la région, ou en y construisant une salle de sport digne de ce nom, ou encore en finançant le salaire d’un professeur de langue, qui trouverait des élèves très motivés.

Les parents des élèves sont aux champs pour la récolte des pommes de terre. Je les rencontre un peu plus tard, occupés à casser la croûte à l’ombre d’un camion. Les amoncellements de patates forment des pyramides de style inca, présentant au soleil leur flanc jaune saupoudré de terre brune comme du tabac. Plus loin, un long wagon de chemin de fer mangé par la rouille enjambe une rivière et fait penser à l’autobus du filmInto the Wild, perdu au milieu de nulle part. Sur la route, on croise un cycliste occidental sur un vélo ultra moderne qui nous crie qu’il va à Pékin et n’a pas le temps de s’arrêter : « encore soixante kilomètres avant la nuit ! » souffle-t-il, les dents serrées. Concentré sur la performance, il regarde à peine le paysage autour de lui.

Dans la roche de Vardiaz :

Vardiaz est ce qui reste d’une ancienne ville entièrement creusée dans la roche. Elle a aujourd’hui l’aspect d’une citée de troglodytes, mais du temps de sa splendeur, les cavités creusées dans la pierre étaient recouvertes de somptueuses façades, fixées à des encoches encore visibles. La reine Tamara y avait fait construire un réseau de cellules monastiques, reliées les unes aux autres par des tunnels entrelardés d’alcôves, de chapelles et d’entrepôts. Dans l’église principale, également creusée dans la roche, on peut admirer une fresque célèbre, l’une des trois représentations de la reine que le barde national, Shota Roustaveli, a décrit comme une vraie beauté et dont il était tombé amoureux. Tamara est la Catherine II de Géorgie. Elle a soumis les féroces montagnards, battu les Turcs et les Persans et s’est mariée à un prince russe.

La rivière serpente en contrebas, s’écoulant sous un ciel chargé de nuages. Un orage éclate et la pluie se met à tomber dru sur les champs de patates, tandis que les arbres poursuivent lentement leur mue automnale.

Vins & statues :

La capitale, Tbilissi, n’a décidément rien à voir avec le reste du pays. Comme en Azerbaïdjan, toute la vie culturelle et économique y est concentrée. Il y a eu un petit tremblement de terre hier. J’aimerais faire une série de portraits rue Lermontov, dans une maison en ruine. Une série intitulée « tremblements ». Les tensions sont soudain montées, à trois jours du scrutin. Ambulances et voitures de police sillonnent la ville. On sent que les choses ne sont pas si calmes qu’il n’y paraît et que de gros intérêts restent en jeu. Je passe devant une voiture entièrement détruite et qui fume encore, près de la place de la Liberté, là-même où Staline organisait ses hold-ups. Des hommes en noir sont postés tout autour. Les voix s’élèvent. Cris. Gesticulations du bras, sabrant l’air. Un attentat vient d’avoir lieu. J’apprendrai les détails le lendemain dans le journal : une bombe placée dans le coffre d’un député de l’opposition. Bilan : un blessé (un passant malchanceux), car le politicien n’était pas dans sa voiture.

Alexandre Dumas l’avait noté dans son voyage : « un Géorgien tient à grand honneur d’être cité comme ivrogne de première force » et Tbilissi est une ville faite pour flâner de bar en bar, comme en Espagne. Assis dans l’un d’eux, j’écoute un groupe qui interprète « Get lucky » avec brio en observant les clients qui sortent dans la rue, bras-dessus bras-dessous, d’un pas chaloupé. Un jeune homme ivre, mais très poli, s’approche de moi et insiste pour m’offrir un verre. Il veut absolument s’assurer que je m’amuse, en tant que visiteur dans son pays. Il s’en fait un devoir sacré. Ses amis s’excusent du dérangement et l’entraînent vers une voiture qui va le reconduire chez lui, ce qui me prive de compagnon de beuverie.

Je croise un couple russe chez un marchand de vin. Conseillés par un sommelier barbu, le mari est la femme goûtent les crus qu’ils rapporteront dans l’Oural. L’époque du protectorat n’est pas si éloignée, lorsque la Russie tsariste avait transformé le nom de la capitale – qui, de Tbilissi, était devenue Tiflis– puis avait commencé à implanter des colonies russes, arméniennes et grecques dans le pays. Mais il faut dire que, sans cette histoire, la Géorgie n’aurait jamais, par la suite, participé à l’aventure soviétique et que le petit gars du pays, Joseph Staline, ne serait jamais devenu le maître d’un sixième de la planète.

Des bouteilles sont ouvertes sur de gros tonneaux et d’élégants verres à pied remplis de toutes sortes de vins, rouges et blancs. J’achète un petit cru de Mingrélie dont on peut boire, sans inconvénient, une bouteille par tête, m’assure le vendeur. Un cognac de 70 ans repose dans une belle carafe de cristal, pour la somme de 260 lari. Il y a aussi de superbes bouteilles de chacha avec 50 degrés au compteur. Le chacha est un des plus anciens alcools connus, distillé en Géorgie depuis un millénaire. C’est une sorte de grappa élaborée à base de cépages géorgiens (surtout du Saperavi), ou français (du Sauvignon blanc, par exemple). Au nez, il a des notes florales, prolongées en bouche par des épices et des arômes de fruits.

Avant de partir pour l’aéroport, je passe devant deux statues : la première, en bronze, du président américain Ronald Reagan, assis sur un banc, souriant comme l’acteur hollywoodien qu’il était. La seconde, en aluminium, représente la Mère patrie, personnifiée en une femme colossale tenant une coupe dans une main et une épée dans l’autre. Elle fait penser au monument du même genre, dans l’Ukraine voisine, à Kiev, également érigé dans les années soixante dans le cadre de la politique soviétique des nationalités.

Deux Géorgiens (Staline et Beria) et un Ukrainien (Kroutchev) ont dirigé l’Union soviétique, à tour de rôle, pendant des périodes clefs de l’histoire de cet empire et il est probable que ces deux pays resteront, au moins en partie, dans le giron du Grand Frère russe, malgré les efforts du département d’État américain, qui a obtenu des résultats non négligeables en matière de lutte contre la corruption.

Notes :

[1]Simon Sebag Montefiore, Le jeune Staline,Weidenfeld & Nicolson, Londres, 2007 (cette remarquable biographie est basée sur des archives inédites et quantité de séjours dans tous les pays où a vécu Staline).

[2]J’avais un peu étudié ce centre dans une étude de 1998 : Frédéric Oberson, « Intelligence cooperation in Europe: the WEU Intelligence Section and Situation Centre », in Towards a European Intelligence Policy, Cahier de Chaillot 34, EU-ISS.

[3]Voir l’excellente étude de Maurice Bonnot, Des Etats de Facto, L’Harmattan, 2014.

[4]Pierre Razoux, Histoire de la Géorgie : la clef du Caucase, Perrin, Paris, 2009.

[5]C’était pendant le mandat de N. Sarkozy à l’Elysée (voir ce qu’en pense un épicier kirghize dans la section de ce site internet consacré au Kirghizstan).

[6]Gorbatchev, un autre Caucasien, en avait fait son ministre des Affaires étrangères au temps de la perestroïka.

[7]National Democratic Institute (NDI) et son équivalent républicain, le IRI (International Republican Institute). Ces deux instituts ont été créés par les deux grands partis politiques américains et sont financés par le NED (National Endowment for Democracy, fondé par Ronald Reagan). Ils doivent rendre des comptes devant le Congrès et leurs audiences (publiées sur Internet) sont très instructives.

[8]Parallel Vote Tabulation, appelé aussi Quick Count (comptage rapide).

[9]Un procédé efficace et reproduit en Ukraine et dans d’autres pays.

[10]Ka est un personnage de fiction dont la première « aventure » sera publiée sur ce site, une fois qu’elle sera terminée.

[11]Ce parti affirme vouloir à la fois se rapprocher de l’Union européenne (et de l’OTAN) tout en entretenant des relations apaisées avec la Russie.

[12]Pierre Razoux, Histoire de la Géorgie : la clef du Caucase,  Paris : Perrin, 2009.

[13]Le Peace corps (on prononce “corps” comme en français) est une agence américaine de volontaires de type Boy Scouts, fondée par JFK aux Etats-Unis dans les années soixante et dont les membres travaillent actuellement dans plus d’une soixantaine de pays. Ils « servent » au minimum deux ans et contribuent au rayonnement de la culture américaine.

[14]Alexandre Dumas passa neuf mois dans le Caucase en 1858 et son livre est une mine de renseignements et d’anecdotes savoureuses. Voir son Voyage au Caucase.

[15]Voir plus haut, ce qui s’est passé pendant la guerre de 2008.

[16]Ka est un personnage de fiction dont l’histoire sera publiée sur ce site.

[17]Alexandre Dumas, Vingt Ans Après (l’aide apportée au roi Charles par les braves mousquetaires est, bien entendue, imaginée par le romancier).

[18]Ironsides, en anglais.

The land of the Golden fleece

The modern state of Georgia, like its ancient counterpart, is strategically situated. This means, broadly, that it is a ‘swing door’ for the transport of oil and gas from the Caspian to Western Europe. Its history is a little more romantic, in that Georgia is Colchis, the home of the Golden Fleece. Vital as oil and gas are, it is easier to tell the tale of Jason and the Argonauts than of the oilmen and their drills, even if the emotions involved are much the same.

Today, one would have to be breathing in the refined fossil fumes for quite a time to arrive in Georgia ready to do battle with dragons so as to steal the fleece. There are, however, a good many Russians, Americans, and Europeans in country with what might be termed analogous resouce extraction enterprises in mind. An uneasy peace is reflected in the ownership by a multinational consortium of the pipeline which stretches across the country. Today, British, American, Turkish, French, and Italian stakeholders watch each other warily as they guard the oil artery, whilst Europe’s separate Nabucco pipeline lets the EU avoid Russia when transporting natural gas from Azerbaijian.

This game has been going on for some time. Lenin, in his high conspirator mode before the October days of 1917, drew the parallel when he spoke of a young Stalin as his ‘fiery Colchidian’, though such was the ubiquity of classical learning that he did not have to spell it out. It is in Gori, a town near Tbilisi (the capital, that I will cross a half-dozen times in the coming weeks), that Stalin – whose real name was Iossif Djougashvili – made his debut, at the head of a band of mobsters, all learning the ropes of the “dirty politics”, as he said with affection, which would make him Lenin’s right arm (1).

Contemporary Georgia, like Ukraine, straddles two worlds. In 1991, the Western powers refused to recognize its independence, so as not to offend the Kremlin, while today they cry conspiracy as soon as an eyebrow is raised between Moscow and Tbilisi. Since the end of the short Russo-Georgian war in 2008, the European Union has been using satellite images from its observation centre (2) in Torejon (Spain) to prove to the Russians that it holds proof of the presence of their armed forces at the borders of Georgia, where two new de facto states (South Ossetia and Abkhazia) have seceded with Georgia to return to the Moscow fold (3).

As the English say, both Georgia and Russia have form on this. Georgia was historically a Russian protectorate, its rulers preferrig Russian to Turkish overlords. The Kremlin completed the conquest of the Caucasus, crushing the Chechens and the Cherkesses, only in 1859, at the end of a war of fifty years. There was a much shorter time between the Tsarist protectorate and Soviet annexation. Today, Georgia has gained its independence but it still hesitates between two options: to be under the rule of the European Union (and the Americans) or to reconnect with the Russians.

France has had privileged relations with Georgia since the beginning of the twentieth century. In 1921, when the Red Army invaded the country, the Georgian government went into exile to the castle of Leuville-sur-Orge, near Paris. However, Paris withdrew its official support after the signing of the Franco-Soviet pact of non-aggression, in 1932. Later, in 2008, France led the peace negotiations just after the Russo-Georgian war and the Six-point agreement is only available in the only original French version (5).

This blitzkrieg only lasted a few days but left several hundred dead on both sides. It broke out in August, following border clashes between Georgians and South Ossetians, who had separated from Georgia since the 1990s. Georgian President Michel Saakashvili, recently re-elected, foolishly decided to invade South Ossetia. The Kremlin had fomented ethnic unrest at the borders in retaliation for the negotiations for Georgia’s accession to NATO, which were being carried out with flying colors. A similar scenario was repeated shortly afterwards in Ukraine.

The consequence of all this was that the Kremlin responded by launching a cyber attack on Georgian official sites and then drove its army through a four-kilometer long tunnel that crosses the Greater Caucasus Mountain to its narrowest place, just between the two Ossetias, two thousand meters above sea level. Once in Georgia, the Russians went to the gates of Gori, Stalin’s hometown, being careful not to damage the statue of the great man by uncontrolled shelling. In modern Russia, unlike its Soviet predecessor, form is taken as seriously as substance.

In Istanbul, in the hall for passengers in transit, a man in black watches me. He has eyes that belong on the Steppe a thousand years ago, and complementary shaggy hair. It is hard to say which country he comes from. He ends up asking me, with a conspiratorial air: « humm, what you think, Sir, humm, Iran … Iran …. Third World War? » He looks like an early Georgian bolshevik making plans for a hold-up in a tavern in Tbilisi, in the company of the young Stalin, whom he ressembles with his burning eyes. He walks away before I have time to answer.

I drank my coffee under the emblem of a bifid-tailed siren, wavy hair and a head topped with a crown surmounted by a star. This symbol of Starbucks made me think of the Little Fairy Mermaid from the Danish tale that I listened to as a child, on a 45-lap vinyl record that my father had bought for me. I had fallen in love with her. Now she smiles at me, on a green background, her arms holding both sides of her fin. Is there today only one international airport that does not have its little mermaid? All vaguely threatening men in black should come with one, as a kind of reassuring counterside to their unsettling coin.

First night in Tbilisi. It’s the fall of 2016. An ideal temperature (24 degrees). Two young women pass by me, very different from the little mermaid of my childhood. The first is sitting on the door of a brand new convertible, driven by a young man wearing sunglasses (in the middle of the night). The other is installed more classically in the back seat and consults her smartphone. Diamonds shine in her ears. She has very long hair, like the mermaid of the tale, but displays a jaded air and wears a t-shirt on which is written: dance or die.

The same evening, on a subway platform at the Dniepro station, I saw an uncountably aged woman, her back bent, making one step in front of the other with infinite caution, carrying a heavy bucket of metal filled with cereals. She was dressed in an old sweater of greenish wool, a shapeless dress and big socks in perforated galoshes. Damask hid her few remaining strands of hair, pressed against the temples where veins resembling large earthworms stretch the thirsty loam beneath her skin. She went all the way to where the cereals are the least expensive, right in front of the central station, though she then had to carry them, I assume, to her suburban building.

The bucket was too heavy for her stunted muscles. In a sense, she had become her skeleton, or rather, it had become a kind of frame or rack, upon which the buckets were hung. I could not help her, and have imagined what her evening was like. In my mind, I know that she mechanically performed the steps necessary to go home and prepare the meal for god knows what husband, living or dead. As tall as a child, she had seen the century pass. When the subway was built in the 1970s, during the Soviet era, she was already a mature woman. She knew her first man under Stalin, and she remembers with nostalgia the years of the Great Terror, because it was a time when she was made of flesh and blood and scythed through her portion of work without even been aware of it, proud to build the bright future. But does she even get a one-hundred euro pension today? I wish that I could have helped her, even though I know that she would not have accepted it and that we were heading in different directions.

A pretty little town, calm and quiet:

I move to the south of the country, to a region where Armenians are numerous, in the city of Akhalsikhe. At the edge of the forest, a Catholic monastery was recently built, where an Italian priest and five nuns live. It’s very provincial, and has something of a Twin Peaks feel, not least because it is surrounded by fir-clad mountains. Fruits bend tree branches and placid men play backgammon on the streets. In the nearby forest live bears, wild boars and foxes. I wonder if they are light in color, like the hair of the former president of the country, Edouard Shévadnadze, nicknamed the “white fox of the Caucasus” for his cunning, and his silver mane (6).

We drink a homemade plum juice, then my host’s wife serves us a tea accompanied by fresh cranberries. The cups are in colored porcelain. The housewife is a good-looking woman with good-natured eyes. Her two charming girls are dressed in long dresses, because, as they say with pride, they « do not follow the fashion ». They speak Georgian, Russian and Armenian.

In the vast governor’s office, candles placed on a long buffet burn beneath a dozen icons. A very pious man, this governor, no doubt. The rest of the office is empty, except for a large flat-screen TV broadcasting the news of the day. The governor is a stout man with very short cut hair and a square, massive face. He has a long nose and graceful lips that seem to form a permanent smile, but which never give a real « show of teeth », as the Americans say. He is reminiscent of Lord Varys, in Game of Thrones, but more muscular. He is wearing a pink linen shirt which opens onto pool-tanned skin, and is sporting a pair of artificially washed jeans. There are two massive rings on his fingers. A trendy iPhone is in front of him.

It turns out that the governor lived in France, where he played rugby, a sport that the Georgians love (they are built for it). He does not fail to provide us with his contingent of picturesque anecdotes about women, then declares, hand on heart, to have nothing against the Russians, contrary to what one might think. I am ready to believe it, because after all, the recent war between Russia and Georgia lasted only a short time and was caused by the whims of a megalomaniac President whose grandfather, Prince Abashidze, a mineral magnate, had hosted the young Stalin at the time when the latter was a gang leader offering close protection services to wealthy industrialists, while preparing the revolution. The situation has changed since then. “Here, it is a calm and quiet city”, he assures us. It’s like being at the beginning of Twin Peaks or of a Stephen King novel: “a pretty little town, calm and quiet …” I resolve not to look for Laura Palmer, pie, pet graveyards, remote hotels, and storm drains.

At the police station :

The local police chief also makes a good impression. It’s obvious that his staff was trained in American methods, either formally or via boxsets of films and cop shows. The new, dark blue uniforms resemble those of any Midwestern town, and the lyrics of Bruce Springsteen’s « State Trooper » play in my head on meeting them. After the Rose Revolution, President Saakashvili, advised by the Americans – he had worked as a lawyer in New York – had dismissed almost all police officers in the country, because these agents were so poorly paid that they were almost all corrupted (as in many countries). One must admit that today things have changed. It feels like you’re entering the Twin Peaks Police Station and you expect to be offered donuts and coffee. The secretary, seated at a counter, looks just like actress Kimmy Robertson, who plays Lucy in the American series, with her long curly hair and round face. I would like to meet the Georgian alter ego of her boyfriend, Andy, one of my favorite characters. I’m sure there is one here. And I can attest to the fact – it is very reassuring – that there is an Andy Brennan in every police station in the world, especially in the most unlikely places. I met one in Russia, another in Nicaragua and also one in Bangladesh. However, I don’t see myself asking the Chief: “Tell me, Sheriff, since you are Americanizing here, you would be so kind as to call your local Andy Brennan, just for a minute, please. Just to have a look at his face, if you don’t mind. ” It just wouldn’t go down well.

« We are farming people here, » the head of the office informs us. « Potatoes especially, and breeding. Folks are very quiet now. No one is hitting anyone anymore. » That’s reassuring. According to him, the main occupation of his agents is checking for drunk drivers. There is a small outpost of the University of Tbilisi in the city centre, but not enough students to bring any trouble. We are served a coffee, but it is not accompanied by donuts (we need to come back in a few years for the panoply to be complete).

The Rose Revolution:

It’s time to talk about this “color” revolution, which provided a model for the Orange revolution in Ukraine, during the Presidential elections. In 2003, corruption was plumbing new depths. The “white fox of the Caucasus” (President Shévadnadze) brought Michel Saakashvili, nicknamed Micha, into his government. Micha is, as we have said, the grandson of the Georgian prince who had sheltered a young bandit by the name of Stalin before the revolution. He studied law in Kiev, before going to work as a lawyer in New York. The tale unfolds.

Very ambitious, Micha went on an internship in Serbia where the US State Department backed the Otpor (« Resistance ») movement which precipitated the fall of Milosevic. An equivalent mechanism is set up in Georgia and the movement takes the name of Kmara, i.e. « Enough! » Despite these efforts, the elections are won by the regime, thanks to a massive fraud. In response, George W. Bush threatens to reduce US aid. Strangely, the Kremlin does not react, maybe because Moscow is getting tired of the white fox and would be happy to get rid of him.

Thanks to an American NGO called NDI (7), opponents of the regime use a parallel vote counting system (8) whose results are immediately published (9). They put the candidate of the opposition in the lead. So when the official results are finally announced, the population of Tbilisi is shocked by the huge difference between the numbers and goes out en masse on the main artery, Rustaveli Avenue. Opposition activists began distributing roses in front of Parliament, hence the name that will be given to this peaceful revolution.

As we can imagine, the regime continues to hold power and it is at this moment that Micha (nicknamed the Flamboyant) seizes the opportunity by the hair and forces his entry into Parliament at the moment when the “Fox of the Caucasus” delivers a speech on his victory. The Fox is obliged to leave the building under the hootings of the crowd, his arms laden with roses, and he will soon be forced to resign. After which Micha is elected without difficulty to replace him. And that is how Micha got to be President.

Rare fact, he appointed the French ambassador to Tbilissi as Minister of Foreign Affairs – I’m reminded of how the umpteenth Duc de Richelieu became Governor of Odessa – but she would soon be fired for having denounced the corruption of the new regime and for having agreed with her Russian counterpart, Sergei Lavrov, on a withdrawal of Russian troops from Georgia in exchange for the payment of a large sum in dollars, as proposed by the Americans.

The same year, Micha the Flamboyant, not characterized by his modesty, made the mistake of supporting the Orange revolution in neighboring Ukraine, which put a definitive end to the cordial relations he had with the Kremlin. The tension increased until the outbreak of the Russo-Georgian war, four years later. After Micha expelled Russian officers for espionage, Moscow launched a campaign against Georgians living in major Russian cities and interrupted the delivery of natural gas to its small neighbor. Furious, Micha threatened to accept the US missile defense system, and went to the NATO summit to plead for the accession of Georgia to NATO. This was the straw that broke the camel’s back, and precipitated the war, which had the effect of resetting what the Kremlin felt to be the appropriate balance between Moscow and Tbilisi. The Americans were careful not to intervene.

The Deputy Mayor:

The mayor is absent from his office. Indeed, in application of the new electoral law elaborated with the help of American experts, it is the deputy who must replace the incumbent mayor when the latter has registered as a candidate in the legislative elections. A rule perfectly respectful of good practices.

The young man has a project for the development of the city castle and plans to mandate a foreign consultant « to be sure to use all the potential of this beautiful place. » He went to Poland recently, in a city where the medieval castle is much less impressive, but yet generates more revenue than here: « It’s a question of management and programming. » He’s not wrong.

To get an idea of this castle, just imagine a hybrid of Dorne and Port Real in Game Of Thrones. The castle of Rabat contains a mosque, a synagogue, an orthodox church and a catholic church. It was restored (a little too much) a few years ago and is surrounded by a wall. A long court bordered by a colonnade of white marble with tangerine veins extends through its centre. There are also many pools and fountains. Four young Caucasians in molded jeans, hair shining with gel, are grouped near the marble columns to listen to loud music. Whenever a young tourist comes to pass, they perform, one after another, the beautiful swirling dances of the region. The young women who visit the castle are Russians or students of Tbilisi, hence the choice of this hunting ground. This scene inspired one in The Adventures of Ka (a fictional story to appear on this site).

The thing happened during the second photo shoot, in front of the white marble colonnade in the castle. They had returned at the end of the day to capture the light of the setting sun. No better place for the portraits of Nino, a half-Georgian, half-Armenian woman with white skin and ruddy lips. Her long hair had the color of raven feathers. The courtyard of the castle mixed styles : Islamic, Orthodox and Roman. It was after a series of dull portraits and a succession of repetitive poses that the phenomenon occurred. The young woman’s eyes suddenly caught fire, the irises catching the last sun rays that were dying on the horizon. An extraordinary amber color surfaced, ardent like the door of Moria before the Ring-bearer. Ka felt that amber sink deep inside him like a Cognac taken on an empty stomach. Under the velvet eyelids, Nino’s eyes disappeared as they consumed themselves in this liquid fire, as if under the breath of a dragon. It was a powerful amber in the service of a fierce, ruthless creature….

In this castle, there is also a two-storey madrasa of the eighteenth century. « To think that those who rebuilt all this for us are in prison today! » laments a woman who works in the castle museum. Indeed, in the last elections, the former guard of the National Movement Democrats (in Georgian: ნაციონალური მოძრაობა – დემოკრატები) was defeated and many members were imprisoned after a series of corruption trials designed to prevent them from standing in the next elections, according to a proven technique all over the world (especially in Bangladesh, as you can see in the forthcoming section of the website dedicated to this country). The party leader (Micha) is now in exile, as will be, a few years later, Babanov, the leader of the opposition in Kyrgyzstan.

We visit several campaign offices run by different political parties. The ruling party, at the moment, is the Georgian Dream (11) and has promised to follow the democratic rules sponsored by Western donors. Everything seems to be running smoothly, unlike the previous elections which had been marked by tension and characterized by strong pressure from the authorities.

Many candidates are massive. One is particularly impressive. He could be the twin brother of King Robert Baratheon in Game of Thrones, which whom he shares an immoderate taste for hunting, wine and uncomplicated friendships. But he is luckier than the monarch of the Seven Crowns, because his wife is a very caring lad, unlike the Lannister queen. The candidate’s wife has a false air of Sensa Stark when she bends down to place a tray of nice coffee cups in the office. It is clear that this candidate is not the type to be disemboweled by a wild boar during a hunt and that he is ready to fight for victory. At the end of the discussion he politely grinds the bones of my hand and recommends a jazz club in Tbilisi where a saxophonist of his friends performs every weekend.

In Borjomi :

The beautiful Georgian alphabet, all cursive (the name of the country, for example, is written: საქართველო) merges with the celerious hips of the singer who gesticulates on the television screen of a small pantry where I swallow a katchapouri, hot bread with cheese resembling a pizza. The katchapouri is written ხაჭაპური in Georgian and it is the national dish, produced in vast variety. Today I chose a Khatchapouri Imeruli accompanied by a Georgian wine, not a Château Mukhrani Shavkapito, as last night, but a Telavi Old Cellar Saperavi, which is half the price (8 laris for 150 ml), and practically as good.

Borjomi is a spa city known to all the inhabitants of the former Soviet Union for its healing spring water and baths. Having exhausted visits to the offices of local officials, I finish reading the excellent Pierre Razoux on Georgia (12) in one of the few cafes open this season. It is in this city that Micha the Flamboyant (the former president of Georgia, now in exile) invited his Ukrainian counterpart at the time of the colour revolutions to send an appeal to Western powers.

In a convent, a nun of seventeen shows us the little church which has just been restored in the garden of an old Russian Romanov cottage. This beautiful wooden mansion burned a few years ago, but its graceful pointed turret did not suffer from the fire. All around is a park planted with firs, oaks, and birches with parchment trunks. This historic residence of the Russian Imperial Family was donated to the Georgian Orthodox Church by the government after independence. It was converted into a convent. The Georgian authorities are unfortunately not very keen on preserving the Russian or Soviet architectural heritage, especially since the national orthodox church has become an influential political force.

The frail young nun has baby cheekbones which shyness enhances with a reddening, nettle-stung blush. Some locks of her fair hair protrude from the shawl that covers her head. She speaks with a sibilant voice like the water of a river running nearby. “It will be frozen in three months,” she says. She is an orphan who became a nun at fifteen, after two years spent in the convent as a cleaning lady. No, she will not vote in the elections. She hardly ever leaves the convent. But she will continue to pray for the government, “let it be prosperous”.

A magpie takes flight like a black and white jet, and comes to rest on the branch of a fir. In the surrounding villages, it will soon be time for fires in iron stoves. The convent is equipped with a modern central heating. Comfort is assured, as in all Orthodox communities in the country. In exchange, you have to follow the rules and know your place ; thus it has ever been in holy commensality.

Portrait of the Southern Georgian:

The average Southern Georgian has something of a Hobbit. He is satisfied only when his belly protrudes by about a third of a cubit from the leather belt of his Levi or Wrangler denims. He likes to sit comfortably behind the wheel of his car (black, preferably, and of German brand) smoking cigarette after cigarette and listening to music. He waits in a manly, carcinogenic fug. It is an art in which he excels. He often sings the haunting melodies of his country.

His clothes are black, sometimes gray, or at least khaki, but always dark. Like Stalin, he cultivates the roughness of a badly trimmed peasant and carries with dignity a three days beard, displaying an impassible expression in all circumstances, because it must be very clear for everyone that « you do not do it to him ». He hates, more than anything, being a patsy, especially in the « dirty work of politics » and the clan struggles his people have been enmeshed in over the centuries.

He retains his youthful temperament during old age. His driving style is sporty, but controlled (not like the Italian truzzo). However, he sometimes swerves to avoid stray dogs, cows and other quadrupeds frequenting the asphalt at any time of day and night. He likes to take his time and is always ready to chat, but proves himself a good fighter when the opportunity arises. He is faithful in friendship and knows a lot of people in detail. His family and clan are crucial to him, as is his circle of friends. As well versed in genealogy as the Duc de Saint Simon or an Arabian Emir, he is never mistaken about a name or ancestry.

He likes wine and cognac and when he suddenly comes to life on a karaoke track, he is surprisingly supple and dashing despite his weight and lethargic pace. Finally, and largely truthfully, eating is his passion, which is why he contemplates his belly with affection, willingly passing his palm over it to feel its circumference. He wears it daily as a proof of his worth and a mark of his civility.

On Soft power considered as one of the Fine Arts:

As in all major cities of Georgia since the bounty of Washington was undammed, a room of the public library is reserved for the “American centre”, with about three hundred books in English on all sorts of subjects acceptable to the State Department. There are biographies of Bill Clinton, Harry Truman and Barak Obama, the latter in Georgian, but relatively few of Gerald Ford, Lee Oswald, or Tricky Dicky. This is what we call soft power, a catch-all term for the struggle for influence of countries endowed with an international development agency and economic interests abroad. And since that cultural centre also offers copies of the three main sagas of our time (Lord of the Rings, Harry Potter, and Game of Thrones), it is not I who will complain… There is also a replica of the Statue of Liberty which compensates for the absence of books in the language of Molière.

US Marines and a few GIs spend time in this area several weeks a year. They train the Georgian army. I meet four, in uniform: two men and two women, who also taught English classes for children, much like the members of the Peace Corps (13) in the neighboring Ukraine. USAID has, of course, opened an office in the city and Georgian children are now learning English from primary school onwards, while Russian shows up in the curriculum only two years later, which is ridiculous, but probably temporary. When they will become teenagers these children will speak better English than Russian, unlike their parents. However, things should be rebalanced in a few years because it is in the interest of young people in this country to speak both Russian and English well. A sensible strategy might be to put translations of Pushkin in the library, so that, to borrow a phrase from Eugen Onegin, habit might take the place of bliss.

At a training for members of election commissions in a primary school, the trainer is a young woman from Tbilisi and the « pupils » are men of Armenian ethnicity, sitting at school tables that they could break apart by spreading their legs. Their large hands with broken nails contrast with the white of the paper. They are dressed in dark colors, their beautiful faces chiseled by the six-month winters, tanned and hardened, with noses like in no other country. Remarkable. Armenian communities are everywhere in the Caucasus, as Alexandre Dumas already noted in his travel book (14).

A tandem of observers from the International Republican Institute (IRI), one of the democratization aid agencies funded by the United States, observes the training. This pair of observers has a false air of Laurel &am Hardy, or Abbott and Costello at a push. Having been posted in the region for a few months, they monitor the preparation of the electoral campaign. Big interests are at stake. Everything seems calm, but the Russians are still at the frontiers of what the Georgians call the “occupied territories” (15). It was the American NGOs of the IRI type that helped the Georgian reformists to set up the Kmara! Movement (meaning « Enough! » In Georgian), which in turn caused the Rose Revolution and regime change a little over a decade ago. Other important NGOs are NDI (discussed above), Freedom House (founded by Eleanor Roosevelt) and the Open Society Foundation, founded by George Soros.

Toasts and songs:

At the end of the day, our hostess serves us a very concentrated and sweet grape juice in a small bottle explaining that, if there is so little of that nectar, it is because of the hail which fell in August, damaging Garden vines. Then, we enjoy a series of simple and delicious dishes: a hippophae jam (based on an orange and bitter berry), fried potatoes with plum sauce, eggs from the house hens – not totally hard, to preserve the vitamins – and oval-shaped corn donuts. My hostess protests: “but you do not eat anything! You took so little … “, while I’m on my fifth serving. A beautiful smile lights up her smooth, rounded face, with the autumnal hue of ripe pears. Her two lovely girls occasionally check their smartphones while helping their mother. At nightfall, a neighbor visits us. She is a blonde young woman who works at the police station in the city. She is accompanied by her older sister. We drink a house wine and the pretty police officer recites a long melodious poem of her composition about the mountains. Her eyes sparkle. Then, the two sisters sing a traditional Georgian song that they usually interpret in three voices with their father (who is currently travelling). The melody is superb.

To follow the custom, we drink toasts to friendship, in Russian, which still remains the lingua franca. We discuss an old Georgian film, Otets Soldata (The Soldier’s Father), by Rezo Chkheidze. The story takes place during the Second World War, when Georgia was spilt between those who bet on Germany in order to obtain the independence of the country (Hitler had reluctantly accepted to create a Georgian battalion) and those – more numerous – who rallied to the Soviets. After the war, as the blood price, Stalin deposited upon his native country two mountain enclaves populated by Cherkesses and Chechens whom he had deported in punishment for their collaboration with the Nazis. These two caucasian nations will be followed by Meskhetian Turks, whom I will have the pleasure to meet in the south of the country (see below) and, later, in Kyrgyzstan (see the section of the website dedicated to this country). Of course, I cannot help but talk about Shurik, a character of the film Kakavskaya Plennitsa (The Prisoner of the Caucasus), which everyone knows in the post-Soviet space and immediately the charming policewoman begins to interpret a song of this remarkable musical, imitating the movements of the brunette star in the lead role.

Doggie bag:

The next evening, having not been able to finish the inevitable khatchapuri of a downtown restaurant, I put two large triangles in a plastic bag and go back to bed, climbing the hill. I am followed by two dogs, a black mongrel and a smaller tan one. I give each of them a piece of the Georgian dish, making sure that the big one does not prevent the other from eating his ration. They push out their chests before returning to their nocturnal activities. I wonder if they know the gray-pale dog, the white-stained skiny fellow I met a few days ago on the road to Ninotsminda and who seemed to be going to an appointment. Just like the Thin White Duke, he was following, step by step, the white line at the edge of the road, as regulated as a tram, on the asphalt along the river. He was a pale grey mongrel with a few white spots, his tail and ears ending in a black point as if he had soaked them in an inkwell. Head down, his gaze fixed in front of him, he had about twelve kilometers left to go to the nearest city, Aspindza, and I wondered what kind of appointment he had. Due to the white spot around it, one eye looked darker than the other, again just like the Thin White Duke (aka David Bowie), which brings me to another extract from Ka. .

A dog in the service of Toby Seth (an extract from the « adventures » of Ka, to be published):

« Call me the Thin White Duke. I all gray with white spots. The Master has named me this, the very day – among all days – when I crossed His path. It was between Akhalkalaki and Akhaltsikhe, in Southern Georgia, or rather in the south of Georgia. I’m talking about the one in Europe, just below Russia and not the other, in America, where dog bowls, as they say, are as big as truck wheels. That’s what they told me. Must not be confused, these two, you see, even if they are pretty well connected today, thanks to the CIA … But let’s move on. I do not understad what the CIA really is, what a taste it has… Will have to put the question to Farel, my brother. He knows about these things, Farel, since he joined the Diamond Dogs before I arrived. But all these names of places, it’s Him, the Master, who taught me. T’was at his side, through him, mind you, that I was able to name these things. Call it what you want, I understand myself… that’s what counts. Know yourself, that’s the gig, that’s what he said, when I entered his service. By my teeth! Showed me these things through his eyes! And under his rule, us, we raised the Diamond Dogs, that’s what we did. Yes, me and Farel, we raised it, both of us, you see. There was only us, at first. Trust us, he does, the Master. That’s the craziest thing, when I think about it. With Farel, we took care of everything from A to Z. We recruited browsers, touts, all the others too! Got the knack, dog ! We do. Did not use our pads on the concrete for nothing, see what I mean ?… Then, at the end of the “probation period” as he calls it, we were asked our opinion, can you believe that?! – no joking man ! – to us, stray dogs! Our opinion, to appoint his lieutenants. In short, we put on legs the Diamond Dogs, as we call it. All, street dogs! Wretch without a bowl, recruited for HIM! The Master, he explained everything to us: there will be a war, a fight to the death, an eye for an eye, a tooth for a tooth. Must prepare for it, you see, because all the art HE said, all the art is in the preparation.

That, I knew it already, mind you, or rather I sensed it before entering his service and that’s why I didn’t starve after the death of my parents… But all this is over, as if it had happened in another life. And why not, Mr.? It’s not just those pesky claws that have many lives, what the hell! Bloody cats. It remains to prove, if you want my opinion… Bluff ! most probably… Politics. But we’ve learned the music, sure we did! And now we play the big league, brother !… Brought me to that point of understanding that I would never have thought!… A gift he has, the Master. The only one of them – the men folk – to be able to really understand us, you see. In short, a Chief, a real one. And we of the Diamond Dogs, we are his devoted. Eye for eye, tooth for tooth. That damn Fowler and his band, they better behave or see what happen !… And I personally reserve myself his accursed white blackbird, the meanest in this bloody band of slaves. HE promised it to me… (10)

I will kill you :

There is an old mining town located in the Shamtskhe-Javakheti region (it took me two weeks to learn to pronounce that word correctly. In Georgian, the letters “kh” produce the phoneme “r”), a city that is only a shadow of itself since the closure of the last coal mine. Today, gas is transported to the houses of the inhabitants by a network of pipes painted yellow, supported, two meters above the ground, by crutches of metal of the same color. On the main street, the Avenue of Friendship, a gigantic Soviet-era Palace of Culture is decaying, to the indifference of the public authorities. Imposing and majestic, it is almost unexploited with the exception of a large auditorium with high ceilings where some performances are sometimes held in front of dusty rows of red velvet armchairs.

A man resembling Albert Einstein is busy setting up a rickety, makeshift stage. When I ask him the title of the play, this shaggy director opens his mouth wide, uncovering a row of gold teeth arranged in a rack and, with wide eyes, begins to shout, in English: « I will KILL you », extending all « i ». He seems to really want to do it, but eventually changes his expression and, in a more amiable fashion, assures me that it is actually the title of the play. The actors are students from the capital, says he, who were born in this small town and come to rehearse here once a week. But they are late today: “they spent the weekend in a nightclub, for sure! … jiggling against each other” says he, starting to spin like a dervish in a dance that looks more like a crazy waltz than the trendy gesticulations in the clubs of the capital. He stops abruptly and starts with a great burst of laughter that echoes throughout the room and against the ceilings, as high as a cathedral’s. In short, this good man would be perfect in the role of a mad scientist, a Pentagon planner, or some combination of roles in Banffy’s Transylvanian Trilogy if anyone ever films it.

Giant frescoes of the 1950s cling tarnished to the walls. One represents a festal group performing a Georgian dance against a backdrop of red flags and Soviet stars, another is about a mine in the region, full of excitement. The guardian of the palace tells us he worked there in a shaft that went down “more than 400 meters”. There is a great sense of nostalgia in his voice and it would take little to bring to the surface the whole history of those mid-century years buried in the mine of time. No doubt, this old guardian of the temple was a dashing young man, back then, doing a man’s work with two or three love stories on the boil, and this now moribund Palace of Culture resounded to the sound of hymns and sunday boots. All gone, but for his memories.

Mountain villages:

These are remote areas, plagued by unemployment and rural exodus, like everywhere in Europe, with few young people except, from time to time, a woman and her baby. “All those who have remained in the area have ruined themselves”, I am told, « and the local authorities have helped them greatly in this endeavour. » I am invited to have a Turkish coffee with an acquaintance of my host. It is said to be “very close to here” but takes us about an hour on potholed road. In this part of Georgia, one should double the distance announced to get an idea of the actual journey time. We arrive in a house exposed to all winds, perched at the top of a hill between small fields of corn. The stacked hay is stored against a low wall. A pink leather sow rubs her snout against a dented grill (indicating that it’s an Orthodox and non-Muslim village), while a spring flows peacefully into a stone basin. Roses and peonies bloom the kitchen garden. The trees are bowing under their burden of apples. I am offered one that I crunch immediately. Very juicy. A group of hens is pursued by a noisy rooster, as if he wanted to prove his value to the passing Gaul and make a reputation beyond the borders. We are served a plate of candied nuts in syrup. You eat the whole fruit: not only the nut, but also the flesh around it. In appearance, it reminds me of the rotten eggs that Chinese gourmets love, though it is completely different in taste.

Among the three people on duty in the small polling station nearby, a young woman with golden hair, a shy smile on her lips, wears a discreet, orange, lipstick. She is as fresh as the water from her grandmother’s spring and is fed with fresh fruit and vegetables from the kitchen garden. But at the beginning of autumn, she will go to study in Tbilisi and find herself a husband. I hope she will not forget her roots.

Picking mushrooms (and votes):

All around a Muslim village at the foot of the mountain, in the West, towards the Black Sea, in a district adjoining the region of Adjara, the grass of the high meadows is trimmed by the cows as deftly as any English lawnmower. Here live some families of Meskhetian Turks, who returned home after half a century of exile in Central Asia as part of Stalin’s punishment for collaborating with the Germans. I will meet the descendants of this exiled community in southern Kyrgyzstan later on.

Unless one’s mind is a Levi-Strauss class frigate or above, it is difficult to distinguish the Meskhetian Turks from their Armenian neighbors. Both guide flocks of black wool sheep to the peaks. Up there, they make cheese, which makes me want to taste it. The Turkic shepherds in front of me have three horses and a colt, which his owner proposes to sell to me for three hundred dollars. I would agree, but then would need to stay here another two years and then go back to Normandy on the horse once it would have reached adulthood. For lack of time, I decline the offer, with regret.

A man comes out of a path and gets closer to our group. He is wearing a kind of white felt bob and carries a plastic bucket of the same color on his arm. He is on his way to pick up mushrooms. « In these forests, you will find mostly “deer lips”, delicious when they are fried in the pan » says he. It turns out that this man is a member of the governing party, Georgian Dream. The Party commissioned him to organize the campaign for legislative elections in the district. For our better understanding, he reviews the victories of his party, counting them on his fingers: the new asphalted road that we have driven on to come here (because elsewhere it is only “muddy roads and footpaths”), the street lamps of the neighboring villages, the facilities for students wishing to attend university, one other thing, and nothing on the thumb. He recites his lesson with an accent of sincerity, then predicts us wonders for the next term, should the voters approve.

It is clear that this party man is not only going to pick mushrooms. Clearly, he also hopes to reap the maximum number of potential voters for his party. Are there any pressures to obtain them? Hard to say, but just look at what was in full swing a few years back… the bullying and extortion campaigns might very well come back into fashion in this country. Before the Rose Revolution, a legislative candidate could hope to buy his election in parliament for less than $ 50,000, which was quickly amortized, as today in Bangladesh or Afghanistan.

A young bear:

In a village school of the same mountainous region, the students are all Muslims. An adorable little girl wearing a headband on her head which is unable to contain her abundant blonde hair enthusiastically declares: “my name is Maryam and I am learning English”. We are served a good Turkish coffee. Wood cracks and snaps in the iron stove that quickly heats the room. It looks more efficient than a modern heating system and I have to review my views on schools without radiators. In winter, one can very well use wood in an intimate and dreamlike creaking atmosphere. However, they really need sports equipment worthy of the name.

A little further away is a small, unpretentious mosque at the entrance to a village of Georgian and Turkish families. No problem of radicalization. The mullah is a good man, open and tolerant, who respects children, whatever their confession.

In a small cage in the middle of a garden a big ball of light brown hair with an elongated mouth in the middle rolls around. It has on inspection, a snout, which is wet with grape juice. It is a wild bear. His hazel eyes are devoid of aggressiveness. He has a cloudy look, like an infant, and his eyes are red at the edges for lack of sleep. His long claws are already very capable of tearing the skin of any imprudent creature who would come and tease him too closely.

The bear was put in this little makeshift cage two weeks ago. It is too narrow for his stature because he has already grown to the size of a very big dog. The poor devil turns in circles and dreams only of going back to his forest, the trees and the wild honey, even if honey is given to him from time to time. But nothing has the same taste in captivity.

I heard about this bear for the first time during a conversation over a coffee served by a secretary from the village school. One of her colleagues began discussing her eldest son, a hunter. She told how he found a lonely cub in the forest. The cub was perched on top of a tree and could not get off. The young hunter had decided to take him home, lest the bear starve or end up in the stomachs of wolves, numerous in the region.

Today, the cub is well fed and grows a little more each day. He suffers from no shortage of company, as all the children of the village visit him almost daily. He is fed with grapes, which he swallows with meticulous care, pip after pip, helping himself with a paw to hold the bunch, while his pink tongue loosens, one by one, the juicy pearls. After a few minutes he has spread a beautiful varnish all over his face. With his thoughtful look, his broad forehead and his small eyes wide apart, he looks very much like Paddington. But he will soon be too big for his cage and his adoptive family will have to make the decision to return him to the forest.

With sisters X & Y:

« Never make a politician, grant you a favour / They will always want to control you forever » (Bob Marley, « Revolution »)

X and Y are African nuns from the ultra-violent region of North Kivu in the « Democratic » Republic of Congo. We start talking about President Kabila who clings to his « duties » by all means and lets his country sink a little more each day into chaos. Sister X speaks without ever raising her voice: « really, you know, this President of ours, in DRC, he must not stay. I will tell you something to make you better understand ;

I returned home in July, to Goma, and I met a gentleman over there who told me that one day, in the heart of Kivu, he saw a group of armed men coming down the hill and heading towards him. They were just coming out of the forest, in the middle of nowhere… There was also a man in a suit, with them. So the group in question, they approached and the man in a suit (their leader) asked the man I am telling you about: « you there! Come closer! Do you know me by any chance? » The man I’m talking about, he was taken aback, and very scared, of course, because he immediately recognized President Kabila, in person. In the middle of nowhere… So, he answered in the negative, out of prudence, you see. He said that he did not know him at all. « We rarely meet anyone in those hills » he said, « no car never comes up… », etc. But the chief, that is Kabila, he was surprised at his answer and he said to him: « But, come on, my photo is well known! My face is known, it is often shown. Are you sure you do not recognize me? » And the poor man – who was making every effort to keep himself from trembling – confirmed, because he cared for his own life. So, Kabila, he told him : « Look man, you’re going to do a job for us now, OK ?! » And when he said that, he gave him a box of brand new machetes and also two hundred dollars, and then he explained to him that he had to fight against this or that group. And also a bottle of alcohol, five liters. He gave that to him too… that’s how things are in my country. Politicians on all sides, they set up all these armed militias in the middle of nowhere to create problems in our country and then, well, they say that they are the only ones able to restore order and so that we need to vote for them. Politicians of all kinds… No, really, we cannot trust them at all, not any of them. Really, none is worthy of our trust. »

This woman seems to confirm what I heard from other sources. Then the conversation bifurcates on the question of Rwanda. Sister Y is of the opinion that their country, DRC, should have a dictator like the head of the Rwandan executive, Paul Kagame, because “at least in Rwanda they have roads”, but her sister retorts: « Maybe, but in Rwanda, you know, poor people, they are driven away from their homes, they are forced to the hills, so that the outside world does not see them. The capital, Kigali, it has become a showcase for foreign tourists now. But it’s false, a smokescreen, that’s all. At least at home, in the DRC, there is no cheating of this sort. As soon as you set foot in the country, you immediately understand that something is wrong… »

She met the famous Dr. Mukwege, the one who « repairs » the thousands of raped women in Kivu. It was in the town of Bukavu where the two sisters lived at the time: « One night, they wanted to kill the Doctor. I was in the city. I remember. But his bodyguard was murdered in his place. I knew him well… »

These two Congolese women have been living for many years in Georgia, where their religious community bought a house near a stream. There is a large garden. “I’m taking care of it,” says Sister X. Inside, it is very clean: a living room, a pretty kitchen – with a plate of cupcakes that the two sisters have prepared – and a small comfortable room for each. There is also a prayer room on the ground floor. The house is located in one of the quietest streets of the city.

Sister X accompanies us to a centre of the Order of Malta for disabled people. An elevator has been built, as well as a large room for physical exercises. It’s spacious and functional. In the workroom, four beneficiaries are busy drawing. Two men and two women. The most timid is sitting apart, arms crossed on the table, head turned towards the wall. It is only when the African nun approaches that she reacts, burying her face in Sister X’s belly like a frightened animal seeking protection from the storm. A little further on, a boy crayons in red pencil, colouring pre-printed drawings in a notebook, his penmanship flowing spilling everywhere across the lines. He has a low forehead and very big eyes. Sitting next to him, a young woman with shaggy hair introduces herself, in Russian, before resorting to Georgian to tell her story, She could not walk or talk when she was little, until a doctor taught her to move autonomously. A defenseless young woman, out of reach of the politicians of all sides, from Congo or elsewhere.

In Ninotsminda:

After a night at the hotel Ararat (the name of a sacred mountain for Armenians and also of a famous brand of Cognac) we hit the road to Ninotsminda. It is an almost exclusively Armenian region where, understandably, the inhabitants speak mostly in Armenian (many do not even understand Georgian). Most men do seasonal work in Russia or even settle there and regularly send money to their families back home. The two main cities of the district are very little developed. There is not even one coffee shop worthy of the name in a city centre with ten thousand inhabitants. We swallow a black and lukewarm juice in a parlour that is somehow not a common room, but a collection of small cells. I wonder how young people meet… At school, or on the benches of the one and only park in the city, perhaps, if we can call it a park: three benches rusting on clumps of yellowed grass. And yet, the jovial deputy mayor, sporting a ring set with a diamond, declares, in Russian, after having granted me the title of MY GOOD FELLOW: “you will see, thanks to the care of a paternal administration, our city is embellished with a public garden offering shade and welcoming birds. » One would think oneself immersed in Dead souls… A succession of obscure little shops punctuates the main avenue, devoid of sidewalks. Not even a billiard room, when every city in Afghanistan has one. The only place of recreation is a sordid stall built in sheet metal where three slot machines rust in a miasma of feline urine.

But in the surrounding countryside, it’s completely different. One can properly breathe. The sky spreads to the horizon and suggests large spaces. Dogs, cows and horses, velvety hills, green and brown, stripped of trees, except when a small band of conifers surrounds them like a carelessly laid scarf. Two eagles hover in the sky, watching for their prey, circling without flapping their wings once. I just managed to photograph one. At the foot of the hills rests the sleepy surface of a lake, smooth as a mirror. There is not a single boat, nor even a lopsided raft. No visible waves. No disturbance. No fishermen either.

The villages are well maintained, with large houses, lots of flowers (mostly hollyhocks) and hives buzzing under the sun. A very nouveau riche house, built by an architect from Yerevan, is flanked by a pair of metal eagles, wings spread, set on the columns of a gleaming portal.

The conquest of the rail:

Towards the Armenian border, a new railroad is under construction, which will link Baku, in Azerbaijan, to Turkey, via Georgia. But the construction company only employs expatriates, specialized Turkish workers living together in tents along the rails. There are virtually no Georgians in their teams, in a region where unemployment is at record rates. Armenians with twisted woolen caps on their heads, smoking cigarette on cigarette, comment: « what can we do ? », « that’s life » or « you see, it’s easier for the railway company to have only Turks speaking the same language ». No revolt, no indignation. An ambient fatalism. The procrastination of local authorities is part of the landscape. Another smoker puts it in perspective: « look… here before there was no paved road or public lighting. So things evolve ». The least that I can say is that I could not expect to meet this philosophical attitude in France.

Pope culture:

A resurgent power, the Church has a strong influence on politics and the local popes – a word appropriate to the pastors of the East – display powerful contempt for anything outside their “orthodoxy”. The monasteries are decorated with luxury. We often meet popes with protruding stomachs who try to impress with their long beards and ever-severe looks. Today, the country is swarming with them. Regardless of whether of not they hold a sub-Petrine franchise to the Pearly Gates, “monky business” is flourishing. They enjoy a very special social and economic status.

Near Ude, the home village of the former prime minister (currently in prison), we ring the door of a monastery to access the brand new store offering products prepared by the nuns (honey, jams, and crafts). A shaggy bearded man, whose nap we probably interrupted, finally opens the heavy door, grumbling some words that the devil knows the meaning of. It would be difficult to meet a richer specimen of ugliness. Dressed in a kind of black bear pelisse, he has small nosy eyes and a secret and fleeting expression. His balding skull, very like a boiled white chicken thigh, is provided with a complex interlacing of wrinkles. They form a labyrinth, as on the icons, and give him the expression of a teacher taunting his pupil. He would have made a perfect guard for a chamber of the inquisition, if Orthodoxy had ever had one.

At the time when the young Stalin ran the streets with his gang of ruffians, learning the trade of gangstery, the popes of Georgia were not afraid to mix publicly with the good people and often fell drunk in taverns. But today, confronted with the requirements of the restored brand, and the dangers of being exposed on social networks, they have withdrawn to the privacy of their fully equipped monasteries. However, their pace has not changed, nor their intolerance. It should be recalled that many of the extremists who made up the terrorist movements of the 1900s, especially the Bolsheviks, had been educated in orthodox seminaries. The teaching methods never failed to lead them to atheism or nihilism, like the young Stalin, who revoked God after having being exposed to these popes, especially the archimandrite Serafim in Tbilissi. It reminds me of the analogous process by which the disgraced Woody Allen once resolved as a young man only to go out with convent girls.

The Doukobors:

Back to the south and the border with Armenia, to meet the Doukhobors, of whom barely two hundred remain in Georgia today. This Russian community, exiled by order of the Tsar in the nineteenth century, is characterized by its non-violent philosophy.

Passing an oda – a low house with a flat roof covered with a layer of earth which insulates it and makes it look like the dwelling of a Hobbit – we enter the village of Gorelovka, home to about fifty doukhobor families. A placid looking red-haired woman, busy repairing a palisade, sums up her days with these words: “working, working, and always working ». Here, there is no gas, you have to get ready for the winter by drying cow dung. She adds: “The politicians, yes of course they come here before every election, and they make their promises, but nothing changes for us ». Her vegetable garden provides the family with food for canning and two cows give them milk. She rarely buys meat. “But now we have electricity,” she says with a smile. I see a chasm between her open and radiant face and the attitude of the popes…

This depopulated village was the capital of the Georgian Doukhobors in the nineteenth century. Neighboring villages also bear Russian names: Yefremovka, Orlovka and Bogdanovka. The latter evokes memories of youth and I wonder if the Bogdanov brothers are from this town. The Bogdanovs initiated a whole generation of French children into science and science fiction through their famous TV show in the eighties, and are also associated with a hoax that exposed the nonsense of pseudoscientific language.

The name of this religious community means, in Russian: Wrestlers of the Spirit. There is an amusing parallel: the famous group Daft Punk takes its name from an unpleasant criticism that was addressed to it at the very beginning of its career, because the words “Daft Punk” mean something like: “nauseating musical mash”. In the same way, the word “doukhobor” comes from the critical remarks of an orthodox patriarch who had made fun of the ideas of the new movement by accusing its members of being in struggle against the holy spirit, “dour”, in Russian (дух). What would be the German for that, I wonder ? Geistkampfer ?

Like the Cathars, the doukhobors are in love with freedom. On the eve of the Bolshevik Revolution, they assembled in circles to watch their weapons burn, piled on bonfires, in protest against the conscription imposed by the Tsar, while the Cossacks whipped them. The Doukhobors then emigrated in their thousands to Canada. They left via the Black Sea port of Batumi, a six-hour journey from Gorelovka. Lev Tolstoy contributed to their travel expenses thanks to the copyright of his novel Resurrection. Today, this thriving community has about 40,000 people in Canada and several thousand in the United States.

According to a local legend, the storks which nest above the houses leave the country for good every time a doukhobor family emigrates. Soon, they will all be gone. Many go back to Russia, the Russian Foreign Ministry providing them with repatriation assistance, with the contribution of the Office for Migrations. The young people do not want to stay: in Russia, they can go out to dance, and find work, while here it is impossible, despite the kindness, humility and smiles of their grandparents.

This community rarely practices the New Testament, preferring to read the Psalms, and it totally rejects the clergy, the icons, and all the ecclesiastical ritual, which does little to convey the odor of sanctity to the local popes. The first historical leader of the Doukhobors, a certain Siluan Kolesnikov, drew his inspiration from the mystical writings of the French writer Louis Claude de Saint-Martin. The Tsarist regime, influenced by the orthodox clergy – just as Louis XIV had been by the Catholic Church when he revoked the Edict of Nantes – issued a decree calling this community iconoclasts (ikonobortsy). In this respect, the Doukhobors are close to their Puritan brothers in Cromwell’s England, fighting against King Charles I, his Cavalier array, and the Three Musketeers. But, unlike the Doukhobors, the English Puritans could count on their Ironsides, the nickname of their well-armed and combative troops. And Cromwell. Perhaps they are better off for not having had a murderous religiously inspired psychopath on their team.

To elaborate, this ridiculous edict of the tsar may have saved the Doukhobors. Imagine what fate would have been reserved for them by the new Bolshevik regime and its cult of ultra-violence. Without pouring into counterfactual history, which borders on a party game, one can ask oneself what would have happened if the Doukhobors had remained in Russia after the revolution of October 1917, when the Lenin-Stalin-Trotsky troika began to exterminate all those who objected, one way or another, to their expeditious methods? Recall that, for Leon Trotsky, « the Papist and Quaker chatter about the sanctity of human life » was a fairy tale, while Vladimir Ilich Lenin declared himself ready for a large-scale extermination, declaring proudly: « everyone that we can break is crap and does not have the right to live! » We know what followed.

These persecutions are also reminiscent of the infamous Edict of Nantes, also imposed on royal power by a clique of church people anxious to secure a monopoly in France and who pushed the cream of Protestants (or Huguenot) on the roads of exile, contributing to the enrichment of England and Holland.

The healer :

In a school which Lev Tolstoi founded, the headmistress greets us in her office and advises us to go see a philosopher who lives nearby and who is considered a “healer”. At said address, we meet a man with a long white beard and sparkling eyes who offers to accompany us to a place of prayer where the small doukhobori community gathers. It is a picturesque ensemble of several wooden houses painted in blue. Beautiful Russian architecture, built in the nineteenth century. Our guide, who looks like Gandalf, shows us a garden where all kinds of medicinal plants grow. He hands us several large brown beans, which he recommends us to plant on our return home, because they will grow into a shrub whose leaves can reach a meter long, and which are better than aloe vera for the skin and hair.

He then stares at me for a moment and begins to trace letters in the ground with his shepherd’s staff: « Here », he says, looking at me, « your name’s Frederic, isn’t it ? And that’s not for nothing. It’s registered at birth. The F, you see, the first letter, forms a spiral, look: it turns and turns, constantly, while the c that ends the name, represents the resolution. It is the alliance of these two principles that is important, you see. It indicates that you must try, in all circumstances, to do good even with the bad things that you meet, or that are in you. To transform them. »

Then he shows us other symbols painted on a wooden door. But the most interesting are the embroidery of the young women of the community, neatly arranged in a beautiful cupboard of the large meeting room, in the centre of the wooden house painted in blue, which forms the heart of the community. This beautiful building belonged to the Kalmykov family who settled in the region in 1841. The healer opens a large wardrobe and pulls out a pile of beautifully hand-embroidered scarves covered with delicate symbols. « Every young woman in our community used to embroider her own scarf in order to express who she really was, as a message to her future suitors », the old man tells us in a solemn voice. « In this way, she could show what might otherwise only have come to the surface when it was too late, after an unhappy marriage, you see. » In short, these scarves are radiographs of the souls of these young women, designed to attract the best potential husband – « the One ».They are a hybrid between Penelope’s shroud and the pennants won by football teams in America. Perhaps ‘contender’, spoken Marlon Brando style, is a better word than suitor…

One young woman chose a wheel pattern representing perpetual motion, as the Doukhobors believe in reincarnation. Another embroidered a mosaic of green and pink rectangles, « to signify the hope of fulfilled love, » comments the old man, gently passing his hand over the fabric: « see how she wants to live her dreams to the full in the company of the beloved one, and the way she conveys it by this drawing: please do not rub yourself against me, says she, if you are a narrow-minded, a miserly or a mean-spirited man, because you will have to encourage me on a path of life filled with obstacles, and thrill me enough to sow the seeds of our dreams, together. It is a road on which I am prepared to walk with you, my beloved, with each of my desiring (he insists on this word) steps, once our souls are melted together. » In expressing this profession of faith, the strange old man took the accent and expressions of a young girl.

A third would-be bride was more reserved, having embroidered only one discreet tree-shaped motif on her scarf. Each of the branches giving birth to the next: « It is a genealogical figure that marks the wish to create a large family whose ramifications will expand in space-time, » comments the old man.

Then this friendly man speaks of the energy “that must come out of the lower abdomen”, and of the spirits of the ancestors, ideas close to the practice of Aikido. He is clearly very wise, and in very good form for his age.

Trozzi and crucifix:

Georgians drive much more cautiously than they used to, because the police road checks have multiplied. However, we met two trozzi, as my Italian colleague calls them. This word – “trozzo” in the singular – designates, in Italy, a certain category of young people who drive as if they were the kings of the asphalt.

The Mother Superior of the Catholic convent we visit is Italian but far from being a truzzo. She comments: « the Orthodox monks in this country are closing themselves up. It’s still the Byzantine church here, you know. They do not even say hello when they cross your path. A lot of them are nationalists, monks who did not even agree to participate in the last conclave in Greece. So you see how they cultivate their independence! »

In the meantime, a little peasant woman, all dressed in black, approaches the nun, lowering her head. She looks like the personnification of Humility on a Giotto fresco. The sister makes the poor woman sit on a bench close to her. She dries a tear and then, undoing her long black shawl, extracts a small and beautiful crucifix that her husband offered her. She explains that she is inconsolable at not being able to keep that present. « You see, sister », says she, sobbing, « the Jesus who is on it, he has his feet crossed. »

I confess I don’t understand what the problem is, but soon the mystery comes to light when the brave woman adds that her neighbor, the wife of the village’s richest farmer, uttered loud cries of outrage when she saw the crossed-feet Savior on her neighbour’s crucifix. « You see, Sister, she says that it is heretic to wear that ; that’s what she told me, the neighbor », whines the poor woman, « an object of the Devil, that’s what she said. »

The Italian nun smiles and explains to us that, in the Orthodox rite, the crucified Savior must have his feet parallel and not crossed. Then, she puts a hand on the woman’s shoulder and assures her that she can keep this beautiful gift from her husband, for God will see no harm in it. « How! Really ? » exclaims the brave peasant with reddish eyes, « Is it true that it is no sin? » Her face lights up as she kisses the hand of the nun with devotion before returning to her village, happy.

So the Italian nuns also engage in soft power without knowing it, like Mr Jourdain in Molière’s play. Never bet against a nun.

Memory of a genocide:

There are two flags in front of the entrance of each school in the Ninotsminda region: a Georgian and an Armenian. It’s hard in the winter when it’s freezing cold and the toilets are outside the school. But, as always, young people manage with the means at hand, playing ping-pong on a rickety table with makeshift rackets. They are dressed with care, as are the female teachers who sport high heeled shoes in any type of weather. It would not come to the mind of any teacher here to come to work in sneakers or without makeup.

All schools in the region have pictures of the Armenian genocide hanging on the walls, accompanied by poems. The Armenian minority of Georgia is right to preserve this memory, even if the images are appaling: burnt bodies and starving children lying on the side of the roads after the passage of the Turkish army. At the beginning of World War I, Russia, allied with France, fought against Turkey and pushed back the Turkish army towards South Georgia. In retaliation, the Turks massacred the Armenians, accusing them of collaboration with the Russians.

A wealthy donor could do something useful by restoring a school or building a proper gym, or even funding the salary of a language teacher, who would, no doubt, find very motivated students here.

The students’ parents are, for the most part, working in the fields as it is the period of the potato harvest. I meet them a little later, at lunchtime, picknicking in the shadow of a truck. Heaps of potatoes are piled like Inca-style pyramids, showing to the sun their yellow flanks sprinkled with tobacco-brown earth. Further on, a long rust-eaten railway car straddles a river and is reminiscent of the bus in the movie Into the Wild, shot in the middle of nowhere. On the road, we meet a western cyclist on a trendy carbon fibre bike who shouts that he is heading on to Beijing and has no time to stop: « still sixty kilometers before darkness! » he breathes out, clenching his teeth. Concentrating on his performance, he hardly looks at the landscape around him.

In the rock of Vardiaz:

Vardiaz is what remains of an ancient city entirely carved into the rock. Today it has the appearance of a city of troglodytes, but in the time of its splendor, the cavities were covered with sumptuous facades. You can still see the notches in the stone to which they were attached. Queen Tamara had built here a network of monastic cells, connected to each other by tunnels interlaced with alcoves, chapels and warehouses. In the main church, also carved in the rock, one can admire a famous fresco, one of the three representations of the queen whom the national bard, Shota Rustaveli, described as a real beauty and with whom he could not escape falling in love. Tamara is the Catherine II of Georgia, in a way, as she managed to tame the ferocious mountaineers, defeat the Turks and the Persians, and marry a Russian prince.

The river meanders below, flowing under a sky laden with clouds. Suddenly, a storm breaks out and the rain starts to fall heavily on the potato fields, while the trees slowly continue their Fall moult.

Wines & statues:

The capital, Tbilisi, has nothing to do with the rest of the country. As in Azerbaijan, the whole cultural and economic life is concentrated there. But tensions suddenly rise, three days before Election-Day. Ambulances and police cars crisscross the city, proving that things may not be so calm as they might seem. Big interests are still at stake. I pass a car completely destroyed and still smoking, near Liberty Square, where Stalin used to organize his hold-ups. Men in black are posted all around the vehicle. Voices rise. Gesticulations of the arms, slicing the air. An attack has just taken place in front of a trendy hotel. I will learn the details the next morning in the newspaper. A bomb had been placed in the back of that car belonging to a member of the opposition. Only one person was wounded though, an unlucky passer-by. It might very well be that the opposition candidate himself that ordered the attack, in order to boost his popularity. A trendy technique, once apparently employed by Francois Mitterrand at the end of France’s power gang period during the fourth republic. Everything is possible.

Tbilisi, a city that seems to have been made for strolling from bar to bar, Iberian style. There was a small earthquake yesterday. I would like to do a series of portraits on Lermontov Street, in a ruined house. A series called “tremor” (landslide). As Alexandre Dumas noted in his travel book: “a Georgian holds it a great honour to be quoted as a drunkard of first force.” I can witness that in one of the bars where a group is playing “Get lucky” brilliantly. As I observe the customers going in and out with a swaying step, a drunken young man, very politely approaches me and insists on buying me a drink. He absolutely wants to make sure that I am having fun, as a respected visitor to his country. He considers it a sacred duty. His friends soon join him and apologize for the inconvenience, dragging him gently towards a car that will take him home, which deprives me of a drinking buddy.

I meet a Russian couple at a wine merchant’s store. The husband and the wife are advised by a bearded sommelier and taste the wines they will soon bring back home to the Urals. The time of the protectorate is not so faraway, I reflect. Then, Tsarist Russia had changed the name of the capital – which, from Tbilisi, had become Tiflis – and had begun to establish Russian, Armenian and Greek colonies in the country. If not for that, Georgia would not have participated in the Soviet adventure and Joseph Stalin would never have become the master of one sixth of the planet.

Bottles are open, rested on large barrels, and elegant glasses are filled with all sorts of red and white wines. I buy a Mingrelie of which you may drink one bottle per head without inconvenience, as the seller assures me. A 70-year-old cognac rests in a beautiful crystal carafe for only 260 lari. There are also some great bottles of chacha with 50 degrees on the label. The chacha is one of the oldest known alcohols, distilled in Georgia for a millennium. It is a kind of grappa made from Georgian grapes (especially Saperavi) or French ones (Sauvignon Blanc, for example). It has great floral notes, extended in the mouth by spices and fruit aromas.

Before leaving for the airport, I pass two statues in the city centre: the first one, made of bronze, is that of ex-US President, Ronald Reagan, sitting on a bench and smiling in true Hollywood style. The city of Tbilisi has also named an avenue in his honour. The second, of aluminum, is that of the Mother Country. Very colossal, she holds a cup (of wine) in one hand and a sword in the other. There is a similar monument in Ukraine (Kiev), also erected in the sixties as part of the Soviet policy of nationalities.

Two Georgians and one man from the Ukrainian borderlands – Stalin, Beria, and Khruschev – led the Soviet Union during key periods in the history of the empire. It is likely that these two countries will remain, at least in part, in the bosom of the Russian neighbour, despite the efforts of the US State Department which achieved significant results in the fight against corruption.

(Many thanks to Martin Meenagh for the complete revision of the English version. His remarquable insight helped me enhancing the original French version of the text).

Notes:

(1) Simon Sebag Montefiore, The Young Stalin, Weidenfeld & Nicolson, London, 2007 (this remarkable biography is based on unpublished archives and a large number of stays in all the countries where Stalin lived).

(2) I studied that centre in: Frederic Oberson, “Intelligence Cooperation in Europe: the WEU Intelligence Section and Situation Centre,” in Towards a European Intelligence Policy, Cahier de Chaillot (n° 34), 1998.

(3) See the excellent study by Maurice Bonnot, Les Etats de Facto, L’Harmattan, 2014.

(4) Pierre Razoux, History of Georgia: The Key of the Caucasus, Perrin, Paris, 2009 (a remarquable book).

(5) It was during the mandate of N. Sarkozy at the Elysee (see what a Kyrgyz grocer thinks about it in the section of this website on Kyrgyzstan).

(6) Gorbachev, another son of the Caucasus, made him Minister of Foreign Affairs during perestroika.

(7) The National Democratic Institute (NDI) and its republican counterpart, the IRI (International Republican Institute), were created by the two major US political parties and are funded by NED funds (National Endowment for Democracy, founded by Ronald Reagan). They are accountable to the Congress and their hearings (published on the Internet) are very informative.

(8) Parallel Vote Tabulation (PVT), also called Quick Count.

(9) An efficient method, used also in other countries by NDI and others.

(10) As you can see in the section of the website dedicated to this country.

(11) In Georgian: ქართული ოცნება-დემოკრატიული საქართველო. This party claims to want to get closer to the European Union (and NATO) while building peaceful relations with Russia.

(12) Pierre Razoux, Histoire de la Géorgie : la clef du Caucase, Paris : Perrin, 2009.

(13) The Peace Corps (pronounced “corps” as in French) is an American agency of “volunteers”, quite like Boy Scouts, founded by JFK in the United States in the early sixties and whose members are currently working in more than sixty countries around the world. They serve at least two years and contribute to the influence of American culture.

(14) The great Alexander Dumas spent nine months in the Caucasus in 1858. His book is a mine of information and anecdotes. See his Voyage au Caucase (downloadable for free from the Internet).




Leave a comment